Angela Merkel face à un dilemme… à moins que ce ne soit une évidence

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La Chancelière allemande est dans la position délicate de devoir choisir entre la défense de la liberté de la presse ou le maintien de bonnes relations avec la Turquie du Président Erdogan

Le 17 mars dernier, la chaîne de télévision allemande NDR publiait une vidéo satirique raillant les dérives totalitaires du Président Erdogan.

L’intéressé, furibond, faisait convoquer l’Ambassadeur allemand à Ankara pour lui « demander des explications exhaustives », ou – pour être plus clair –  pour faire pression sur le gouvernement allemand afin qu’il fasse retirer la vidéo par la chaîne.

Le succès

L’effet Streisand jouant à plein, la vidéo a depuis dépassé la barre des 7 millions de vues.

Toutefois, l’affaire n’en est pas resté là.  Si Erdogan était furieux de la publication d’une telle vidéo, qu’il considère comme un crime de lèse-sultan, la chaîne NDR a fort peu goûté les tentatives d’intimidation et les menaces sur la liberté de la presse que faisait peser le Président Turc.

Le retour

Ainsi le 31 mars, l’humoriste Jan Böhmermann (auteur de la vidéo) a,  au cours d’une émission, copieusement insulté le Président Erdogan le traitant de « pervers, pouilleux et zoophile » » .

La vidéo a depuis été retirée, et ZDF s’est distanciée des propos, estimant que ceci allait trop loin.  La satire ne justifiant ni les insultes gratuites ni les coups en dessous de la ceinture.

En dépassant ouvertement les bornes et en allant en conscience au-delà de ce que le droit allemand autorise, le comique entendait démontrer par l’absurde combien le pouvoir turc avait eu tort de s’attaquer à un autre texte, une chanson diffusée 15 jours plus tôt à la télévision allemande et critiquant la remise en cause des libertés publiques en Turquie. (source : LaPresse.ca)

Les conséquences

Angela Merkel se retrouve dans une situation fort délicate, alors que la presse allemande avait été unanime à dénoncer le peu de soutien de la part des autorités  en faveur de la liberté de la presse.

D’ailleurs, hier encore, Guy Verhofstadt, Député Européen, appelait Angela Merkel à « soutenir la liberté de la presse ».

D’autre part, la loi allemande prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois années d’emprisonnement pour « insultes au représentant d’un chef d’état étranger ».

Des dictateurs comme le shah d’Iran et Pinochet y avaient eu recours dans les années 60 et 70, et Erdogan – qui estime que ce sont 78 millions de Turcs qui ont été insultés (1) – entend bien l’utiliser lui-aussi.

(1) Cette propension à identifier sa propre personne à l’ensemble du peuple turc est une caractéristique assez répandue chez les dictateurs, toutes époques confondues.

Houston, wir haben ein große problème

Nul doute que cette affaire, qui prend des proportions démesurées fera l’objet d’un débat passionné lorsque Angela Merkel, dans un premier temps, puis la justice allemande ensuite auront à trancher sur la question.

Quelle qu’en soit l’issue, la Chancelière risque bien d’être la grande perdante de cette passe d’armes.  Charybde ou Scylla, aucune des deux perspectives n’étant vraiment réjouissante.

Le dilemme

Néanmoins, cette affaire est symptomatique d’un profond malaise en Europe (si ce n’est pas carrément du déni) face aux dérives totalitaires du Président Erdogan :

  • Liberté de la presse bafouée
  • Mise sous tutelle de médias
  • Projet de loi visant à la levée de l’immunité parlementaire pour des députés « terroristes »
  • Soupçons d’enrichissement personnel lié à la contrebande de produits pétroliers
  • Répression brutale des population kurdes dans l’Est du pays.

Alors qu’on évoque par ailleurs une reprise des négociations avec Ankara en vue de l’adhésion à l’Union Européenne.

C’est un discours finalement un peu schizophrène, il faut bien le reconnaître.  D’où peut-être, le dilemme ?

Un sujet à suivre

Inutile de dire que le Vilain Petit Canard que je suis est vraiment très curieux de connaître la suite des événements.

Personnellement, je crois que la Chancelière devrait une fois pour toutes choisir le camp de la démocratie, et siffler la fin de la récréation.

Après tout, elle est à la tête de la plus grande puissance en Europe, et c’est à ses électeurs qu’elle doit rendre des comptes, en dernier recours.

D’autre part, cette affaire aura des répercussions bien au-delà des frontières allemandes, parce ce qui est en cause ici, c’est bien la liberté de la presse dans une Europe démocratique.

Et cette liberté comprend également la critique des dirigeants, fussent-ils d’un pays important comme la Turquie, et surtout si elle est dirigée par quelqu’un qui bafoue régulièrement les valeurs auxquelles nous adhérons.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles