Garantie des dépôts bancaires en Belgique

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Beaucoup d’informations (parfois fantaisistes)  circulent sur internet concernant l’étendue réelle de la garantie accordée aux épargnants sur leurs comptes bancaires.  Qu’en est-il exactement en Belgique ?

Depuis 1994, des normes européennes encadrent le système de garantie des dépôts dans les pays européens via la directive 94/19/CE.

A l’automne 2008, dans un contexte de grave crise financière il s’est avéré urgent de réformer le système, notamment en relevant le plafond de la garantie et en accélérant la procédure de remboursement.    Cette réforme s’inscrit aussi dans le cadre de mesures plus structurelles visant à mieux prévenir les risques systémiques.

La directive d’origine devenant obsolète, une refonte complète de celle-ci au sein d’une nouvelle directive a été élaborée, harmonisant mieux au passage les différents dispositifs nationaux en vigueur.  Cette directive 2014/49/UE a été adoptée en avril 2014 et fût transposée en droit belge par la loi du 22 avril 2016 transposant la directive 2014/49/UE relative aux systèmes de garantie des dépôts et portant des dispositions diverses.

Qu’est ce que la garantie de dépôt ?

Il s’agit d’un fonds de garantie[1] géré par les États membres en vue de dédommager les clients[2] d’une institution financière ou d’un assureur qui se trouverait dans l’impossibilité de remplir ses obligations financières.  Pour le dire crûment, qui serait en défaut de paiement,  en faillite ou placé(e) en liquidation/réorganisation judiciaire.

Ce fonds est abondé par les adhérents, c’est-à-dire les banques et les assureurs eux-mêmes.  Actuellement, on peut considérer qu’il couvre entre 1,3% et 1,5% du total de l’épargne des Belges qui se monte à environ 250 milliards d’euros, soit environ 3,5 milliards d’euros.

On peut s’interroger sur le montant, somme toute bien modeste attribué à ce fonds.  En effet, en Belgique, quatre grandes banques (appelées également systémiques) se partagent à elles seules près de 70% du marché sur le segment des livrets d’épargne (KBC, Belfius, ING, BNP-Paribas-Fortis).   A cela s’ajoute que dans une finance largement mondialisée, lorsqu’une banque se trouve dans des difficultés financières majeures, les autres sont aussi touchées à des degrés divers du fait qu’elles sont plus ou moins exposées aux mêmes investissements.

Ainsi, si nous considérions dans une fourchette basse ne serait-ce que 2 millions de Belges qui possèdent 20.000 EUR sur leurs comptes, nous arriverions déjà à 80 milliards.  Ensuite nous multiplions par 0.7 pour ramener à la part de marché de ces banques, puis nous divisons par 4, ce qui nous donne 7 milliards d’euros.  Soit le double du montant disponible.

Montant de la garantie

Le montant fixé par la loi est de 100.000 EUR par personne et par banque.  Si par exemple un couple a ouvert un compte commun, le montant est porté à 200.000 EUR.  De même, si une personne a ouvert plusieurs comptes dans des banques différentes, elle pourra prétendre à une indemnisation plafonnée à 100.000 EUR pour chacune de celles-ci.

S’il s’agit d’une banque établie dans un autre pays de l’UE, c’est le fonds de garantie de ce pays qui sera responsable de l’indemnisation.  S’il s’agit d’une banque établie dans un pays hors UE ayant une succursale en Belgique, deux cas peuvent se présenter :

  • Le pays en question dispose de conditions de garanties égales ou supérieures à la garantie de 100.000 EUR et dans ce cas c’est vers le fonds de garantie de ce pays qu’il faudra se tourner;
  • Le pays propose par défaut une garantie moindre que celle proposée au niveau européen et dans ce cas la banque aura dû adhérer aux fonds de garantie belge en vue d’obtenir l’autorisation de la Banque Nationale à exercer des activités en Belgique.

Que couvre la garantie ?

Les dépôts, les assurances-vie (branche 21) et le capital de sociétés coopératives agréées.

Protection des dépôts, assurances vie et instruments financiers en Belgique (source KBC).

La protection ne s’applique ni aux avoirs des pouvoirs publics et de leurs institutions, ni aux avoirs des établissements financiers et des grandes entreprises (qui ne sont pas autorisées à établir un bilan abrégé),  ni  aux  dépôts  qui,  par  comparaison  avec  les  pratiques  courantes  de  la  banque,  portent intérêts  à  des  taux  exceptionnellement  élevés  ou  bénéficient  de  conditions  exceptionnelles.  La protection ne couvre pas davantage les bons de caisse ou obligations subordonnés et les autres  titres de créance bancaires subordonnés.

Il s’agit donc d’une merveilleuse avancée en terme de protection des consommateurs ?

Ne nous emballons pas, il s’agit d’abord et avant tout d’une gigantesque opération de communication des banques par l’entremise de la Commission Européenne.  Chacun se souvient du Bank Run qu’avait déclenché à Chypre en mars 2013 la restructuration de la Laiki bank.  Création d’une Bad Bank, transfert des actifs de bonnes qualités vers la Bank of Cyprus; le reste des dépôts et des crédits étant intégrés pour assurer le financement des décotes des actifs de la banque.    Des milliers d’épargnants avaient alors perdu une bonne partie de leurs économies.  Une image désastreuse, une fois de plus, pour les banques.

Il s’agissait dès lors de rassurer les épargnants, bien plus que de mettre en place des véritables mesures à même d’empêcher le naufrage des banques dites systémiques.  Les banques y sont bien trop rétives et ont freiné des quatre fers tandis que les États n’ont pas su prendre leurs responsabilités pour leur imposer la conduite à tenir.

Parce que c’est une posture légèrement schizophrénique que d’autoriser d’une part les banques d’affaires à jouer avec l’argent des banques de dépôt (garantis par l’État, donc par le contribuable) et d’autre part limiter la garantie sur les dépôts au titre que cela pourrait constituer un incitant pour les institutions financières à prendre des risques (aléa moral / moral hazard).

Ce qu’on s’est bien gardé de vous dire (mais que vous devriez néanmoins savoir)

Je vous présente ci-après quelques points qui n’ont absolument pas été évoqués par la presse ou le gouvernement lorsqu’il nous ont présenté cette extraordinaire avancée mais qui devraient vous donner à méditer.

Fonds de garantie insuffisamment abondé

Notez que ce n’est nullement une hypothèse farfelue.  Comme je l’écrivais plus haut, dans un pays comme la Belgique, si l’une de nos quatre banques systémiques tombe, les chances d’épuiser le fonds sans parvenir à indemniser les épargnants sont réelles, autant que je puisse en juger.

Et l’on peut facilement se faire une idée de ce qui se produirait en pareil cas, parce que la loi l’a prévu explicitement[3].  Vous avez toujours rêvé d’aller en vacances à Chypre ?  Eh bien ce ne sera pas nécessaire, c’est Chypre qui viendra à vous, ou plus exactement les avatars de la crise chypriote qui s’inviteront à votre table.  Vous aussi vous connaîtrez la joie sans mélange de pouvoir faire la file durant trois heures pour aller quémander l’argent de poche qui vous tiendra lieu de viatique jusqu’à la semaine suivante… Et la prochaine file.  Tout ça bien sûr avec votre argent, sinon où serait le plaisir ?

Amélioration de la procédure de remboursement

Vous l’aurez sans doute entendu comme moi, non seulement la garantie sera portée à 100.000 EUR par personne (et par banque) mais en plus les délais endéans lesquels les déposants devront être indemnisés seront ramenés à 7 jours.  Sauf que ça, c’est pas vraiment pour tout de suite, mais à l’horizon 2024, et d’ici-là :

  • 20 jours jusque fin 2018
  • 15 jours à partir de 2019
  • 10 jours à partir de 2021
  • 7 jours à partir de 2024

C’est tout de suite moins sexy comme annonce, hein ?  On comprend mieux pourquoi ils ont oublié les trois premières lignes et la date qui accompagne la dernière[4] [5]  Ce qui est assez savoureux c’est que la loi du 25 avril 2014 prévoyait déjà un délai maximal de 20 jours.  On sent le progrès.

Conclusions

D’une manière générale, lorsque vous réalisez un dépôt sur un compte bancaire, vous convertissez vos avoirs en créance.  Vous n’êtes plus vraiment « propriétaire » de cet argent mais cela vous ouvre un droit de créance sur un montant équivalent, éventuellement augmenté des intérêts au moment ou vous choisirez de la recouvrer.  C’est à distinguer, par exemple, du dépôt d’un même montant en espèces dans un coffre de la même banque.  Dans ce cas, vous restez propriétaire du contenu qui n’est pas repris au passif de la banque.

L’argent que vous ne placez pas à la banque, vous ne risquez pas non plus qu’elle le perde au poker

Et du coup, les modalités d’indemnisation (ou pas) par le Fonds de garantie pour les services financiers deviennent extrêmement futiles.  Eh oui, à une époque où les banques songent plus que sérieusement à vous taxer pour conserver votre argent sur un compte d’épargne, n’est-il pas temps de songer à d’autres types d’investissements de bon père de famille ?  L’immobilier bien sûr, les terres, l’art, le vin, les valeurs refuges…  Que sais-je, moi ?

Si malgré tout vous aimez trop votre banquier pour le quitter

Ou que vous souffrez tout simplement du syndrome de Stockholm, ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée de répartir vos avoirs sur plusieurs banques, histoire d’éviter de vous retrouver dans la mouise s’il devait arriver malheur à votre cher preneur d’otage.

Une fois de plus

Les promesses du jour sont porteuses de lendemains qui déchantent et elles n’engagent que les naïfs qui n’ont pas lu dans leur intégralité les conditions générales figurant au verso de leur contrat, lesquelles font référence à des textes légaux divers et variés aussi rébarbatifs qu’ils sont retors, contenant une multitude de pièges dissimulés par des arguments juridiques totalement incompréhensibles au commun des mortels.

A bon entendeur !

Lvpc

Notes

  1. En Belgique, c’est le « Fonds de garantie pour les services financiers » à ne pas confondre avec le Fonds de protection des dépôts et des instruments financiers  appelé aussi « Fonds de protection »
  2. Par clients, il faut entendre uniquement les personnes physiques et les petites entreprises (pouvant déposer un bilan abrégé). Les investisseurs institutionnels en sont exclus.
  3. Loi du 22 avril 2016, Art. 11  (ancien art. 12) : Dans la même loi, un article 419/1 est inséré, rédigé comme suit : ″Art. 419/1. Au cours de la période transitoire fixée dans l’article 419 de cette loi allant jusqu’au 31 décembre 2023, lorsque le système de protection de dépôts institué par le Fonds de garantie n’est pas en mesure de mettre à disposition le montant à rembourser dans un délai de sept jours ouvrables, celui-ci veille à ce que les déposants aient accès à un montant suffisant de leurs dépôts assurés pour couvrir le coût de la vie dans un délai de cinq jours ouvrables suivant une demande. Ce montant ne peut pas dépasser le montant des dépôts assurés et sera déduit du montant à rembourser défini à l’article 382. Le Roi détermine le montant et les modalités et conditions d’attribution de ce paiement.″
  4. Loi du 22 avril 2016, Art. 5, 4°  : Le Fonds de garantie veille à mettre les montants remboursables à disposition dans un délai de sept jours ouvrables à compter de la date de la décision visée à l’alinéa 2 ou de la date de la déclaration en faillite de l’établissement de crédit. Le Roi peut autoriser un délai de remboursement plus long, qui ne peut toutefois pas dépasser trois mois, lorsque le déposant n’est pas l’ayant droit des sommes déposées sur un compte. Le Roi peut aussi différer le remboursement lorsqu’il n’y a pas de certitude qu’une personne soit légalement autorisée à percevoir un remboursement, lorsque le dépôt fait l’objet d’un litige ou de mesures restrictives imposées par des gouvernements nationaux ou des organismes internationaux, lorsque le dépôt n’a fait l’objet d’aucune opération au cours des vingt-quatre derniers mois, lorsque le montant à rembourser est considéré comme faisant partie d’un solde temporairement élevé, ou lorsque le montant à rembourser doit être payé par le système de garantie des dépôts de l’Etat membre d’origine.
  5. Loi du 22 avril 2016, Art. 10 : L’article 419 de la même loi est remplacé par ce qui suit : ″Art. 419. Pour la période allant de la date d’entrée en vigueur de l’article 419/2 au 31 décembre 2023, le délai de remboursement visé à l’article 381, alinéa 3, est déterminé comme suit : a) 20 jours ouvrables pour la période de la date d’entrée en vigueur de l’article 419/2 au 31 décembre 2018; b) 15 jours ouvrables pour la période du 1 er janvier 2019 au 31 décembre 2020; c) 10 jours ouvrables pour la période du 1 er janvier 2021 au 31 décembre 2023.″. Le Roi peut, par dérogation à l’alinéa précédent, déterminer que le délai de remboursement est ramené, dès avant le 31 décembre 2023, à celui mentionné à l’article 381, alinéa 3.″.
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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles