Attentat de Nice. De qui on se moque ?

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Moins de 72 heures après l’attentat meurtrier survenu le 14 juillet sur la promenade des Anglais à Nice, faisant 84 victimes, la question des motivations ou de l’affiliation du tueur à la mouvance islamiste demeurent incertaines.

image amateur

Comme souvent en pareil cas, les informations qui filtrent au compte-gouttes sont contradictoires et ne permettent pas de tirer quelque conclusion que ce soit à ce stade.

Ce qui fait moins de doute est la récupération politique, à droite comme à gauche.  Un vrai festival.

 

Ce que l’on sait du conducteur du camion

Le suspect, qui a été abattu par les forces de l’ordre a été tué au cours de l’opération après qu’il eût tiré à plusieurs reprises sur des policiers avec une arme de poing.   Son identité a été confirmée par les autorités.  Il s’agit de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, citoyen de nationalité tunisienne âgé de 31 ans et qui disposait d’une carte de séjour. Chauffeur-livreur de profession, il avait le permis poids lourd.  Son casier judiciaire ne faisait état que d’une seule condamnation en 2016 à une peine de six mois de prison avec sursis pour faits de violences conjugales.

Depuis la Tunisie, son père l’a décrit comme quelqu’un n’ayant aucun lien avec la religion, qui ne faisait pas la prière, ne faisait pas le ramadan, buvait de l’alcool et se serait même drogué.  Il aurait fait une dépression dans les années 2000-2004.  A cette période il devenait colérique et cassait tout ce qui lui tombait sous la main.  Selon lui, son fils était un solitaire, toujours déprimé, renfermé sur lui même et qui ne voulait parler à personne.

Un habitant de son ancienne barre d’immeuble « Le Bretagne », où le tueur vivait au 12e étage avec son épouse mais en était parti depuis environ 18 mois, dresse pour sa part un profil d’homme déséquilibré. « Je ne crois pas du tout à un problème de radicalisation, je pense plutôt que ça relève de la psychiatrie », a-t-il commenté.

« Il faisait des crises. Quand il s’est séparé de sa femme il a déféqué partout, trucidé le nounours de sa fille à coup de poignard et lacéré les matelas », détaille-t-il. « Son épouse avait demandé le divorce suite à une altercation violente », raconte-t-il. (Source DH – 15.07.2016)

Ce que François Hollande ne pouvait pas savoir

Mais cela ne l’a nullement empêché de l’affirmer dès 3h45 du matin dans la nuit qui a suivi l’attentat.

« A Nice, cette nuit, un camion a foncé sur la foule rassemblée pour le feu d’artifice du 14 juillet avec l’intention de tuer, d’écraser et de massacrer.

Nous déplorons à l’instant où je parle 77 victimes dont plusieurs enfants et une vingtaine de blessés en urgence absolue. Cette attaque, dont le caractère terroriste ne peut être nié, est encore une fois d’une violence absolue.
Il est clair que nous devons tout faire pour que nous puissions lutter contre le fléau du terrorisme.

(…) Rien ne nous fera céder dans notre volonté de lutter contre le terrorisme et nous allons encore renforcer nos actions en Syrie comme en Irak. Nous continuerons à frapper ceux qui justement nous attaquent sur notre propre sol, dans leurs repères. Je l’ai annoncé hier [jeudi] matin. »

La messe est dite.  C’était un attentat terroriste, donc forcément islamiste, donc forcément lié à Daesh donc on va intensifier les frappes en Syrie, pour « éradiquer » l’État Islamique.

C’est étonnant autant qu’étrange puisqu’il m’avait semblé, à moi, que Daesh était en déroute après s’être fait aplatir par les frappes russes ?  Il sont en pleine débâcle et les troupes de l’armée régulière appuyées par les milices kurdes reprennent chaque jour du terrain.

Filiation & Revendication

Il faut prendre les déclarations hâtives mais résolues de François Hollande pour ce qu’elles sont, un fil rouge.  Et nous verrons probablement dans les jours à venir que la narration ne s’en éloignera guère, tendant à mettre de côté tout ce qui ne corrobore pas l’hypothèse terroriste et mettant en avant tout ce qui pourrait la valider.  On invitera des « experts » (toujours les mêmes qui sont surtout experts en com’) qui nous expliquerons avec force anecdotes comment le suspect était bien, en fait, un soldat de Daesh.

Mon propos n’est pas d’affirmer ou d’infirmer l’existence de l’indispensable lien de filiation opérationnel entre le suspect et Daesh pour établir qu’il s’agirait bien d’un attentat islamiste.  Je ne participe pas à l’enquête et je sais juste ce qui en est dit dans la presse, tout comme vous.

Néanmoins, ce que je puis faire, c’est de pointer du doigt les élucubrations et la désinformation systématique qui une fois de plus s’invitent dans le débat.

La revendication

Près de 36h après les faits, l’agence Amaq, liée à l’organisation terroriste État islamique publie le communiqué suivant :

« L’auteur de l’opération (…) menée à Nice en France est un soldat de l’Etat islamique. Il a exécuté l’opération en réponse aux appels lancés pour prendre pour cible les ressortissants des pays de la coalition qui combat l’EI »

Dans lequel on ne peut être que frappé par les termes « soldats », « opération exécutée » et « réponse aux appels ».  Il s’agit d’insister très (trop?) lourdement sur le fait que l’intéressé était bien lié à Daesh.

Parce qu’à ce stade, il faut tout de même se souvenir qu’aucun indice ne laisse à penser qu’il existerait un rapport entre Mohamed Lahouaiej Bouhlel et :

  • L’organisation terroriste État Islamique
  • La mouvance islamiste, l’intéressé n’était pas fiché « s » et n’était pas connu pour des fréquentations de ce genre
  • Des terroristes

Mais qu’à cela ne tienne, on apprend que l’intéressé connaissait des gens qui eux-mêmes étaient des radicaux islamistes :

«  Le tueur était en relation avec des personnes elles-mêmes en contact avec des islamistes radicaux  », a indiqué une source proche de l’enquête, «  mais à ce stade cela ne prouve rien et l’enquête devra établir s’il a bénéficié de complicités  ». (Source Le Soir, 15.07.2016)

Ah bon sang mais c’est bien sûr, l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, quoi.  A pareil compte toute la police de France est également suspecte de terrorisme puisqu’ils connaissent eux-mêmes des musulmans radicalisés.  Et qui sait, peut-être que vous aussi, vous connaissez un musulman dont vous ignorez peut-être qu’il est radical ?

La (nécessaire) conversion

Eh oui, pour pouvoir être un bon petit « soldat » de Daesh et ainsi « répondre à l’appel » en « exécutant » une opération terroriste, encore faut-il en faire partie !  Ou s’en réclamer de manière crédible.  Seulement voilà, aucun document en rapport avec une possible radicalisation n’a été retrouvé, et le curriculum vitae de l’intéressé plaide plus en faveur d’un cas relevant de la psychiatrie.

Mais c’est pas grave, on nous parlera d’une « conversion extrêmement rapide », comme 20 Minutes qui titrait :

EN DIRECT. Attentat de Nice: Le tueur se serait «radicalisé très rapidement», selon Cazeneuve (…)

Tellement vite qu’il n’aurait pris la peine d’en informer personne, que son ordinateur et son téléphone n’en auront gardé aucune trace, et qu’il n’aurait même pas pris la peine de laisser traîner un petit serment d’allégeance vite fait sur le gaz.

J’imagine que l’étape suivante ce sera le gars qui s’est auto-radicalisé sur internet mais qui ne le sait pas encore.  Un peu comme la scarlatine, vous avez déjà le virus mais c’est seulement cinq jours plus tard que vous commencerez à développer les symptômes.

Après la « radicalisation-minute », la radicalisation à l’insu de son plein gré ?

Quand les déclarations des politiques relatées dans la presse commencent à ressembler au Gorafi, il est temps de fermer le journal ou d’éteindre la télé et de réfléchir deux minutes, parce que manifestement on ne parle plus d’information mais de tout grand n’importe quoi.

Ainsi dans la catégorie des conversions ante mortem, nous pourrions avoir la conversion flash, tellement rapide que l’intéressé ne sait même pas lui-même qu’il est converti.  Nous pourrions aussi avoir la conversion à l’insu de son plein gré, le gars qui se croit athée mais qu’en fait il est déjà intégriste musulman tout au fond de lui.

Après, il y a toute la gamme de conversion post mortem.  Eh oui, d’où viendrait que Daesh ne pourrait pas, tout comme l’Élysée d’ailleurs, attribuer des titres et médailles à des combattants qui se seraient particulièrement distingués et auraient succombé au cours de l’opération ? Mais peut-être n’est-ce valable que pour les distinctions honorifiques et pas pour les fonctions opérationnelles ?  Pas de jeu, quoi.  Pas éligible à fonder une revendication crédible.  Et que penser des Mormons qui inlassablement recopient les registres d’état civil afin de recenser et baptiser ces morts au cours de cérémonies ?  Ils sont bien convertis post mortem à l’insu de leur plein gré, ceux-là, non ?

La responsabilité

Les questions n’ont pas tardé à fuser, notamment via les réseaux sociaux sur les responsabilités des autorités.  Comment se fait-il qu’un 19 tonnes ait pu traverser tous les barrages pour se retrouver sur la promenade des anglais forcément bondée ?

Nous apprenons également, par Christian Estrosi (premier adjoint au maire de Nice et président de la région PACA) que seuls 45 policiers nationaux encadraient l’événement, contre les 64 qui avaient été demandés.

Comparés aux milliers de policiers qui avaient été déployés pour encadrer la dernière manifestation contre la loi travail, on se demande un peu où sont les priorités de ce gouvernement.

Dans un pays sous état d’urgence, alors que tous les moyens ont été donnés aux forces de l’ordre et au pouvoir judiciaire, un tel drame n’est pas une fatalité.  C’est une faute.  Et ce n’est pas aux forces de l’ordre que doivent s’adresser les reproches mais bien à leurs supérieurs, à savoir Bernard Cazeneuve et Manuel Valls.  Qu’il n’aient pas encore tiré les légitimes conséquences de leurs errements montre tout le mépris qu’ils ont pour les Français, et accessoirement pour les valeurs qu’ils prétendent défendre.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles