Cette fin de semaine, riche en rebondissements, a vu l'Europe se prendre deux râteaux presque coup sur coup avec, mercredi, l'écrasement du module Schiaparelli sur les hauts-plateaux de l’hémisphère sud de Mars; et vendredi, dans un suspens digne des meilleurs épisodes de Derrick, l'échec in extremis des négociations du traité bilatéral Europe/Canada (CETA).
« L'atterrisseur a touché le sol mais il n'émet pas de signal »
Bon c'est vrai, le chapo est un peu racoleur, on ne peut pas vraiment parler de rebondissement concernant le module atterrisseur, il est descendu comme une bouse à près de trois cents kilomètres à l'heure en raison d'un problème au niveau des mécanismes de freinage, et s'est fracassé en miettes sur 40m. Nettement moins sexy que le succès qu'on nous vantait dans les journaux télévisés mercredi soir...
Ce nouvel échec d'une mission spatiale de l'ESA, qui n'a jamais réussi le moindre atterrissage sur mars serait un banal fait divers s'il ne venait pas dans un contexte de sévère crise économique qui continue à peser sur les épaules des citoyens européens. Cette gabegie à plusieurs centaines de millions d'euros me fait immanquablement penser à ces beaufs qui dépensent jusqu'au dernier cent pour s'acheter le dernier modèle d'i-phone quand d'autre part ils ne savent pas répondre aux besoins les plus élémentaires de leur progéniture. À cette aune, nos dirigeants sont des archétypes de vanité sans vergogne.
Cela va sans doute vous paraître paradoxal, tout comme à moi, mais le CETA a finalement été anéanti par les stratégies mises en place par les chantres de la mondialisation et leurs obligés de la Commission Européenne.
Eh oui, l'Europe cherche depuis trois décennies au moins à élargir tant et plus l'UE, et d'autre part à fractionner les États afin de rendre cette nébuleuse incapable d'une stratégie cohérente ou d'opposer quelque résistance que ce soit à la mise en place de ce qu'on ne peut qu'appeler un Nouvel Ordre Mondial. Il s'agit, dans un premier temps, de transformer l'Europe en États-Unis d'Europe, ou plus exactement, en réserve d'indiens pour les États-Unis.
Cette stratégie est poussée en surface par une politique européenne en faveur des régions par opposition aux États; et en sous-main par des porte-avions de la politique étrangère américaine comme George Soros, en détruisant systématiquement tous les noyaux pouvant représenter un obstacle à cette politique. Il s'agit d'attaquer systématiquement de l'intérieur les structures qui assurent la cohésion sociale, et sur lesquelles repose le pouvoir des États.
En pratique cette stratégie consiste la plupart du temps à exacerber des tensions entre différentes communautés ou régions qui existaient préalablement. Les exemples sont nombreux : Wallonie/Flandre, Catalogne, Nord de l'Italie, Écosse, Bavière, Bretagne, Pays Basque...
En Belgique, pays improbable de bric et de broc, ce sont les éternelles querelles linguistiques qui ont servi de base pour dresser les communautés les unes contre les autres. Nulle trace ici de nationalisme, le pays est trop récent pour cela et ce mythe national n'a jamais eu vraiment l'occasion de s'y enraciner. Tout cela bien sûr sur fond d'égoïsme bien compris, la Flandre, région la plus riche du pays est aussi celle qui a souhaité toujours plus d'autonomie pour les régions ces dernières années. A noter qu'à l'époque où les données économiques étaient inversées, c'était la Wallonie qui se sentait des ailes.
Ainsi, depuis 1993 la Belgique est un État fédéral composé de trois régions : Flandre, Wallonie, Bruxelles-Capitale. La nouvelle constitution belge, en son article 167 (TITRE VI), confère aux régions le ius tractatus, c'est-à-dire le droit de conclure des traités. S'agissant de traités mixtes (portant sur des matières pour lesquelles tant l'État fédéral que les Régions sont compétentes), l'assentiment des parlements régionaux est désormais requis[1]. Ironiquement, ces dispositions avaient été demandées par la Flandre qui voulait marquer un peu plus l'indépendance de la région par rapport à la tutelle fédérale. La même Flandre qui avait signé des deux mains l'adoption de ce traité et où l'on a vu ces jours derniers des mandataires politiques appeler ouvertement à passer outre le veto wallon. Démocratie quand tu nous tiens !
Ne vous laissez pas embobiner par les déclarations des politiciens ou les relations qui en sont faites dans la presse qui n'hésite pas à insinuer que cette décision pourrait être plus ou moins motivée par des visées bassement électorales. Les prochaines élections (communales) auront lieu en 2018 et d'ici-là tout le monde aura oublié le CETA. Je ne suis pas naïf au point d'ignorer qu'un homme politique joue toujours son rôle, et que sa popularité n'est jamais bien éloignée de ses préoccupations, mais je vois ici quelque perfidie à de telles insinuations lorsque par ailleurs j'analyse les motivations, par ailleurs très étayées que le Ministre-Président de la Région Wallonne, Paul Magnette, a maintes fois exposées.
« Toutes les actions relatives au droit d'autrui dont la maxime n'est pas susceptible de publicité sont injustes » (Emmanuel Kant, De la paix perpétuelle).
En substance, les principales pierres d'achoppement exposées par ce dernier (mais qui ne constituent nullement une liste exhaustive) sont :
Ainsi, les motifs exposés sont loin, très loin d'être anodins, et on ne peut que s'étonner que le Parlement wallon ait été le seul à soulever ces questions cruciales. Quoique... Une fois encore, il ne faut pas s'en tenir au discours ambiant qui vise à présenter la Wallonie comme étant totalement isolée sur la scène internationale. Dans son discours, Paul Magnette mentionnait au moins quatre ou cinq États membres qui avaient eux-aussi de sérieuses préoccupations concernant certains aspects du traité.
Il nous apprenait également que la Cour constitutionnelle allemande avait émis un avis positif sous réserve de l'examen ultérieur de la constitutionnalité notamment des mécanismes d'arbitrage et que ceci constituait une clause de sortie automatique dans le cas où cette constitutionnalité ne serait pas reconnue. Il s'agit là d'un fameux coup de fusil pour le canard déjà passablement boiteux qu'était le CETA puisque cette clause devait pouvoir s'appliquer à tous les États parties.
D'une manière générale, on vous enterre quand vous êtes mort et la plupart du temps, on peut considérer que c'est définitif. Plus sérieusement, à partir du moment où la Wallonie refuse de donner mandat au gouvernement fédéral pour signer le traité, celui-ci ne pourra pas entrer en vigueur, point.
Or cet aval du Parlement wallon est conditionné à une renégociation sur les points litigieux exposés en long et en large depuis plus d'un an par les intéressés. En réponse, la Commission n'a a aucun moment souhaité organiser un nouveau round de négociations bilatérales. Pourquoi ? C'est très simple, parce qu'il s'agit d'un NO GO au niveau des négociateurs canadiens, notamment pour ce qui concerne les modes d'arbitrage et les critères d'admissibilité au titre d'entreprise canadienne.
Pourquoi ? Eh bien il me semble que poser la question, c'est déjà un peu y répondre, non ? Ainsi, si j'étais mauvaise langue, je dirais que permettre l'ingérence de multinationales américaines dans les processus législatifs européens était précisément l'un des objectifs du traité. Le CETA qui rentrerait par la fenêtre après que le TTIP aurait été rembarré à la porte.
L'avenir nous dira si les canadiens sont de bonne foi et acceptent que soient ajoutées au CETA les garanties nécessaires afin de rendre les mécanismes d'arbitrage conformes à l'esprit du traité et dans le respect des standards démocratiques européens. Faut-il préciser que j'en doute très fort ?
Je ne vais pas insister lourdement ici sur les déclarations de la ministre canadienne du commerce, Chrystia Freeland, qui déclarait, au moment de quitter Namur :
Il semble évident, pour moi, pour le Canada que l'Union Européenne n'est pas capable, maintenant, d'avoir un accord international même avec un pays qui a des valeurs si européennes comme le canada... Et même avec un pays si gentil et avec beaucoup de patience comme le Canada.
Et voilà, le méchant Popol a fait pleurer la gentille Chrystia ce qui a mis à bout la patience de ce pays lui-même si... gentil. Ok, on voit le tableau.
Alors le CETA, c'est bon ou pas bon ? Eh bien oui et non. En fait on pourrait comparer ça à l'organisation de la coupe du monde. C'est sûr que cela rapporte pas mal d'argent... Mais à qui ? À quelques organisateurs qui vont se gaver pendant que les frais d'organisation seront, eux, supportés par l'ensemble de la population via les financements publics.
C'est la raison pour laquelle les médias nous abreuvent en boucle avec «Le CETA est le meilleur accord commercial et le plus avancé jamais conclu par l'Union Européenne...». C'est la méthode Coué. On peut aussi appeler ça du matraquage, surtout lorsque l'on sait qu'il n'existe aucune étude sérieuse démontrant la véracité de ce qui reste, somme toute, une hypothèse optimiste. Et moi qui ne suis pas forcément un optimiste béat mais plutôt un pragmatique convaincu, j'attends encore qu'on me démontre objectivement qu'un quelconque traité de cette nature ait jamais été bénéfique pour l'ensemble des populations concernées (cfr. Traité Alena).
En résumé, c'est un traité tellement bon pour nous qu'il a fallu le négocier dans le plus grand secret, et qu'il faut le signer à la va-vite, et sans le lire. Très bon, ja ja, bien zür.
Lorsque, dans les jours à venir vous entendrez parler sans relâche de dictature de la minorité, et du pouvoir exorbitant dont userait et abuserait le Parlement de Wallonie, je vous conseille de considérer ce qui suit.
Je crois pour ma part que ce parlement a courageusement entrepris ce que d'autres n'avaient pas osé faire, et qu'il est en plein dans son rôle lorsqu'il remet en question des mécanismes qui ne sont rien d'autre que des armes au service exclusif des multinationales pour ravager un peu plus l'économie européenne via la privatisation du pouvoir judiciaire, et par ricochet, législatif.
Par ce message fort, la Wallonie vient de signifier de manière formelle que désormais, les traités bilatéraux devront être négociés de manière transparente et respecter tous les standards démocratiques européens, faute de quoi ils seront rejetés impitoyablement.
Et quoi qu'en puissent dire les parangons du libéralisme débridé, c'est une bonne nouvelle pour la démocratie européenne.