À Washington, Macron flétrit un militant pacifiste et s’éloigne fier de lui

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Débarqué de la voiture blindée qui l’a transporté jusqu’ici, cerné de gardes qui tiennent son costard à l’abri des mains sales de la populace, le président repassé, amateur de lingettes, se voit interpeller par un militant pacifiste venu manifester contre les endless wars menées par un pays qui ne changera jamais de cap malgré les élections.
« Si vous voulez diriger mon pays, prenez ma place ! Présentez-vous devant les gens et faites-vous élire, je vous en prie. »
Devant la question de ce militant – « Pourquoi est ce que vous brisez les grèves et les syndicats ? » –, le président courtois marque une hésitation. Il s’attendait sûrement à des hourras et à un tonnerre d’applaudissements, mais voilà qu’on le somme – quelle audace ! – de justifier sa politique de saccage social.
« Nous avons des grèves contre les réformes » balbutie-t-il avant de poursuivre dans un anglais affûté aux taille-crayons dans les bureaux de la banque Rothschild : « Si vous voulez diriger mon pays, prenez ma place ! Présentez-vous devant les gens et faites-vous élire, je vous en prie. »
Réponse illogique, aberrante, qui n’est, au fond, qu’une version actualisée et pour tout dire macronisée, du « Casse-toi pauv’ con ! » prononcé par le cowboy des Hauts-de-Seine lorsqu’il avait déboulé au salon de l’agriculture en février 2008.
Poli en paroles, le président courtois s’est montré, en actes, d’une arrogance inouïe et n’a pas hésité à bien gratter ses semelles sur ce citoyen américain instantanément ramené à sa condition de décrottoir pour bottes de riches.
Pendant que le président s’éloigne, entouré par la garde rapprochée qui veille sur lui comme sur un Youkounkoun, le militant relève la pancarte qu’il avait abaissée pour interroger l’Immanence. Il vient peut-être de prendre conscience qu’il n’est qu’un chien qu’on veut voir à la niche entre deux promenades électorales.
Elle est un peu facile, la méthode macronienne. Inviter ainsi un citoyen américain à se présenter aux élections présidentielles… françaises, c’est une façon inintelligente de botter en touche. Indigne, en tout cas, d’un président à la pensée complexe mais tout à fait conforme aux attentes qu’on a d’un président à l’arrogance décomplexée.
Les macroniens, s’il en reste encore aujourd’hui, invoqueront peut-être le fait que le président n’avait pas le temps de répondre, qu’il n’était pas venu pour parler de ses réformes, des grèves ou des coups de matraques généreusement distribués à ceux qui ont l’outrecuidance de s’opposer à sa « vision ». Ils ne manqueront pas de nous rappeler qu’il avait une pelle à ramasser et un arbre à planter devant la résidence coloniale de son neocolonialist counterpart.
Ah, devenir président, être élu par les Français – « présentez-vous devant les gens » qu’il a dit le président macronyme pour nous faire croire que ce sont « les gens » qui lui ont offert le trône doré de notre République couronnée ! Il aurait pu être honnête, l’emmarcheur, et lui dire, au brave type, que ce n’est pas le peuple qui choisit le pouvoir mais le pouvoir qui façonne ses électeurs, qui les précipite dans la grande lessiveuse médiatique manœuvrée par ses soins pour le débarrasser de toute réflexion et l’engorger par accumulation d’éléments de langage.
Le peuple c’est le dernier prétexte, celui qu’on prépare à vouloir ce qu’on a décidé pour lui, celui qu’on cuisine à coups de sondages, qu’on gave de unes de magazines, qu’on noie sous les torrents d’argent – 16 millions pour Macron – déversés urbi et orbi par des instances bourgeoises qui ne respectent cette fausse démocratie que parce qu’elle leur garantit, derrière le changement promis mais qui ne viendra pas, le confort infiniment prolongé de mener ses affaires à bon port, bien entendu aux frais de l’État.
Mais puisqu’il était pressé, le président, qu’ils vous diront les emmarchiens, pressé d’aller planter son arbre, pressé de manier la pelle avec une dextérité toute printanière devant les first ladies plantées-là comme des fleurs à talons dans le gazon trop vert d’une résidence nourrie de la sueur et du sang des have-not, le président souriant et maladroit, comptant ses pelletées et se demandant « encore une ? » en regardant Donald, se prêtant à cette petite farce au milieu d’un monde saigné et dévasté par les Voracités dont il est un des agents, un monde dans lequel, comme l’a écrit Thucydide, « les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder »[1]
J’espère qu’il a bien compris ça, le militant flétri, quand il a vu Macron s’éloigner tout sourire, cravaté, encadré de barbouzes, trop heureux d’avoir pu planter là un pauvre type, comme ça, négligemment, sans avoir à craindre aucune riposte. C’est ça qu’il a dû retenir le militant remballé, sous sa casquette rincée de fatalités avec, dans ses mains, dans ses pauvres mains d’homme de rien, sa pancarte triste et molle comme une fleur fanée sur laquelle il aurait dû écrire :
« Les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder ».
Bruno Adrie – Article original sur In cauda venenum