Ne pas confondre droits d’auteur et droit à la prédation

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Il semblerait que la stratégie de prédation des majors (les multinationales du divertissement) n’ait plus vraiment de limites, quitte à s’affranchir allègrement du droit.
Ce matin, en parcourant mon fil d’actualité, mon regard était attiré par un article de Clubic intitulé « Ne tentez pas de jouer du Bach sur Facebook : Sony vous l’interdira« . Croyant tout d’abord à une erreur imputable à un logiciel de reconnaissance, j’ai tout de même lu l’article, et j’ai été effaré.
En gros, nous avons un musicien (James Rhodes) qui avait enregistré dans son salon un morceau composé par Jean-Sébastien Bach, puis avait publié la vidéo sur Facebook. Ce qui est arrivé ensuite est presque surréaliste. La vidéo a été censurée au titre qu’elle correspondrait à 47 secondes d’une oeuvre appartenant à Sony Music Entertainment – SME.
C’est juste hallucinant, et c’est parfaitement illégal. Parce que si reproduire sans autorisation une oeuvre dont les droits appartiendraient à Sony Music est un délit, s’attribuer des droits qu’on ne possède pas relève de la fraude, qui est aussi un délit !
Qu’en est-il du point de vue légal ?
Quand on parle de droits d’auteur, on a souvent tendance à regrouper sous cette appellation deux droits bien distincts :
- Les droits d’auteur : le droit d’auteur est l’ensemble des droits dont dispose un auteur ou ses ayants droit (héritiers, sociétés de production), sur des œuvres de l’esprit originales et des droits corrélatifs du public à l’utilisation et à la réutilisation de ces œuvres sous certaines conditions. Source : wiki
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Les droits voisins : les droits voisins ressemblent aux droits d’auteur par les prérogatives qu’ils accordent. Ils ont pour objectif de protéger la contribution artistique ou financière investie dans la création littéraire et artistique. Ils bénéficient à trois types de contributeurs :
- Les artistes-interprètes, pour leurs prestations et interprétations d’œuvres : il s’agit des chanteurs, musiciens, danseurs, acteurs, etc.
- Les producteurs de phonogrammes et de films pour les disques et films qu’ils financent,
- Les organismes de radiodiffusion pour les émissions qu’ils diffusent. source : SPF economie
La plainte de Sony Music est-elle fondée ?
Droit d’auteur
L’auteur est mort à l’âge de 65 ans, le 28 juillet 1750, il y a donc 268 ans, un mois, et douze jours.
Quand l’œuvre entre-t-elle dans le domaine public ?
L’article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle précise : « L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l’auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les 70 années qui suivent ». Ainsi la plupart des œuvres, qui suivent ce régime général, entrent dans le domaine public un 1er janvier. Source : wiki
La durée peut varier quelque peu selon les pays, mais dans le cas qui nous occupe (Allemagne), elle est également de 70 années après le décès de l’auteur.
Droits voisins
N’est pas d’application, ou plus exactement, c’est bien James Rhodes qui possède les droits voisins sur sa propre interprétation de l’oeuvre.
Conclusion
Nous assistons de plus en plus régulièrement à la privatisation, tantôt des services publics, tantôt des missions régaliennes de l’État, au seul profit des multinationales. Il est évident que Sony Music n’a aucun droit sur l’oeuvre en question, mais qu’importe, c’est la politique du fait accompli. Sony introduit (automatiquement) une plainte, et Facebook se couche, sans qu’à aucun moment il ne soit possible au défendeur de faire valoir son bon droit.
Alors demain, privatisation de la clé de sol ou de la gamme de ré mineur ? Privatisation de l’ensemble du patrimoine culturel de l’humanité ? Ces comportements sont à assimiler à celui des patent trolls, aux États-Unis.