Assassinat d’un vice-Ministre en Bolivie. Chronique d’une désinformation ordinaire

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C’est dans l’ADN du Vilain Petit Canard que de débusquer les petits et les gros mensonges dont les médias nous abreuvent.  Ici, sur base d’un fait divers tragique, on parvient à écrire des articles de journaux qui disent très exactement le contraire de la vérité.  Une performance qui vient un peu tard pour décrocher la médaille olympique, sans doute, mais qui vaut néanmoins qu’on s’y arrête.

Jeudi 25 juin, le vice ministre Rodolfo Illanes qui se rendait à Panduro, un axe routier situé à environ 200 Km de La Paz était enlevé et brutalement assassiné par des mineurs. 

Nous verrons comment ce fait divers tragique a été retourné dans la presse afin d’instiller dans les esprits que ce meurtre était le fait de mineurs « grévistes » issus d’un « syndicat ».

Dans la presse

Dans la mesure où tous les articles étaient basés sur la même dépêche Reuters/AFP, on aurait pu croire que ceux-ci diraient essentiellement la même chose, mais il n’en est rien, certains n’hésitant pas à prendre l’exact contre-pied de celle-ci, au gré de leur propre affiliation idéologique.

Ainsi, c’est sans doute à France Info que revient la palme d’or de la désinformation et je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques extraits pour le moins savoureux :

Bolivie: l’assassinat d’un ministre d’Evo Morales jette une ombre sur le régime

Un ministre assassiné. Ce n’est pas courant. L’affaire se passe en Bolivie. Le ministre, vice-ministre de l’Intérieur, Rodolfo Illanes, aurait été séquestré et tué par des mineurs qui manifestent depuis plusieurs jours. Mais les raisons du conflit ne sont pas évidentes dans ce pays qui se veut à la tête du combat anti-impérialiste.

Le vice-ministre bolivien de l’Intérieur Rodolfo Illanes, séquestré par des mineurs qui bloquaient une route depuis plusieurs jours, a été assassiné par ses ravisseurs, a annoncé le 25 août au soir le ministre de l’Intérieur Carlos Romero: «Tous les indices montrent que notre vice-ministre Rodolfo Illanes a été lâchement et brutalement assassiné», a-t-il indiqué. Une affaire d’autant plus embarrassante pour le pouvoir bolivien d’Evo Morales que celui-ci a la réputation d’être progressiste.

Mais le conflit est plus complexe qu’une traditionnelle lutte revendicative pour les salaires ou les conditions de travail. La Bolivie compte environ 100.000 mineurs «artisanaux». Ils peuvent travailler dans des coopératives autogérées. Ces derniers protesteraient contre une modification du droit du travail qui instaure, notamment, la création de syndicats au sein des coopératives de mineurs, ce que ces derniers refusent. En fait les coopératives «veulent être en mesure de s’associer avec des entreprises privées, ce qui est interdit», rappelle le Time. Le gouvernement fait valoir que si elles s’associaient avec des sociétés multinationales, elles perdraient leur statut de coopératives.

Le président bolivien Evo Morales a nationalisé le secteur du gaz naturel, qui fournit au pays la moitié de ses exportations, après son accession au pouvoir en 2006. Cette mesure avait à l’époque été saluée, les fonds issus de la nationalisation ayant été dévolus à des programmes sociaux et d’aide au développement. (…)

Rien que le titre est évocateur… « jette une ombre sur le régime« .  Ah bon ?  Un « régime »  Et moi qui croyais que la Bolivie était une démocratie…  Et en quoi le gouvernement serait-il impliqué dans l’assassinat de  Rodolfo Illanes, j’avais cru comprendre qu’il avait été assassiné par des mineurs en colère ?

« Mais les raisons du conflit ne sont pas évidentes ».  Ah bon, il me semblait à moi qu’elles étaient parfaitement claires, au contraire.  Le droit du travail en Bolivie impose la création de syndicats au sein des coopératives de mineurs ce qu’ils refusent.  Et par ailleurs, selon le ministre de l’Intérieur, les propriétaires de concessions minières cherchent en réalité à louer à des entreprises privées et étrangères, ce qui est défendu par la Constitution.  En pareil cas elles perdraient automatiquement leur statut de coopératives.

Ces mineurs en colère ne sont pas des travailleurs essayant de faire valoir des revendications sociales, mais au contraire les membres d’un cartel (qui mérite autant le titre de syndicat que l’organisation éponyme d’Al Capone).  Cette organisation, la Fencomin (Fédération nationale des coopératives minières) regroupe 60.000 petites associations « sans but lucratif » qui exploitent les gisements miniers et était jusque récemment alliée du président Morales.

A noter également le silence radio de la Fencomin qui n’a même pas pris la peine de dénoncer l’assassinat odieux d’un membre du gouvernement.

En quoi cet article est totalement fallacieux

L’article pratique volontairement l’amalgame entre des justes revendications de travailleurs et un fait divers n’ayant rien à voir.  Il s’agit de l’assassinat d’un membre de l’exécutif par les portefaix d’un cartel qui ne vise qu’à défendre ses avantages, refuse la création de syndicats en son sein et exige de pouvoir se vendre aux multinationales.

Il faut y voir l’expression d’une droite dure, dans la tradition sud américaine, qui n’hésite jamais à faire usage de la violence et de l’intimidation pour imposer l’idéologie prônée par Washington, comme nous avons pu l’observer ces dernières années : Brésil, Argentine, Venezuela et maintenant Bolivie.  Une offensive majeure sur tout ce que le sous-continent compte comme démocraties socialistes.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles