Attaque contre les infrastructures pétrolières saoudiennes : pourquoi Washington dénonce l’Iran

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Source photo : Shachar Laudon / Flickr
Pour les cours du pétrole mondiaux et le pétrodollar, l’attaque contre l’Arabie Saoudite peut s’avérer désastreuse, selon le temps que mettront les Saoudiens à réparer les dégâts et à reprendre le cours normal de leur production pétrolière. Mais pour les USA, le problème ne s’arrête pas là : à quel point leurs ventes d’armes, l’une de leurs principales exportations dans le monde, vont-elles pouvoir résister à la preuve de leur inutilité administrée par les frappes réussies de drones houthis contre des installations pétrolières majeures de l’Arabie Saoudite censément protégées par les systèmes de défense les plus pointus du complexe militaro-industriel américain ?
Par Finian Cunningham
Paru sur RT sous le titre « US defense failure… Why Washington has to blame Iran over Saudi attacks »

Le blitz dévastateur contre l’industrie pétrolière de l’Arabie Saoudite a conduit à une avalanche d’accusations de la part d’officiels américains, qui en rejettent la responsabilité sur l’Iran. La raison de l’accusation est simple : L’échec spectaculaire de Washington à protéger son allié saoudien.

L’administration Trump doit faire de l’Iran son bouc émissaire dans le dernier assaut militaire contre l’Arabie Saoudite, car admettre que les rebelles houthis aient lancé une opération aussi audacieuse contre le cœur du royaume pétrolier serait reconnaître les lacunes américaines.

Ces dernières années, l’Arabie Saoudite a dépensé des milliards de dollars pour acheter des systèmes américains de défense antimissile américains Patriot et une technologie radar prétendument de pointe. Si les rebelles yéménites peuvent faire voler des drones de combat jusqu’à 1 000 kilomètres en territoire saoudien et démanteler les sites de production clés de l’industrie pétrolière du royaume, ce doit être une source d’énorme embarras pour ses « protecteurs » américains.

La défense américaine de l’Arabie Saoudite est liée à leurs relations historiques. Les exportations saoudiennes de pétrole libellées en dollars pour leur commerce – le plus important de la planète – sont vitales pour le maintien du marché mondial des pétrodollars, qui est lui-même crucial pour la puissance économique américaine. En retour, les États-Unis sont obligés de protéger la monarchie saoudienne, ce qui s’accompagne de l’avantage lucratif supplémentaire de vendre au royaume des milliards de dollars d’armes chaque année.

Selon l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm, l’Arabie Saoudite dispose du troisième plus gros budget militaire du monde, derrière les États-Unis et la Chine. Avec des dépenses annuelles d’environ 68 milliards de dollars, elle est la première au monde en termes de pourcentage du produit intérieur brut (8,8 %) alloué au secteur de la défense. La plupart des armes saoudiennes proviennent des États-Unis, les systèmes de missiles Patriot en particulier étant un produit récent de première importance.

Pourtant, malgré toutes ces largesses financières et la meilleure technologie militaire américaine, le royaume pétrolier vient d’assister à une vague potentiellement paralysante d’attaques aériennes contre son industrie pétrolière. La production de pétrole de sa gigantesque raffinerie d’Abqaiq, située à 330 km à l’est de la capitale Riyad, a baissé de 50 % après avoir été engloutie par les flammes au cours des frappes aériennes. L’un des plus grands gisements de pétrole saoudiens, à Khurais, également dans la province orientale, a aussi été partiellement fermé.

Selon des informations crédibles, les dégâts seraient beaucoup plus graves que ne l’admettent les autorités saoudiennes. La réparation de ces sites industriels-clés peut prendre des semaines.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a eu à moitié raison lorsqu’il a affirmé, « l’Iran a lancé une attaque sans précédent contre l’approvisionnement énergétique mondial ».

Oui, c’est sans précédent. Mais Pompéo et autres responsables américains se sont probablement trompés en dénonçant l’Iran.

Certains responsables de l’administration de Trump ont déclaré aux médias américains que des « missiles de croisière » étaient responsables des boules de feu géantes observées au-dessus des installations pétrolières saoudiennes. L’un d’eux a expliqué anonymement : « Il n’y a aucun doute sur la responsabilité de l’Iran. il n’y a pas moyen d’échapper à cette conclusion. Il n’y a pas d’autre candidat. »

Dans un effort précipité pour étayer les accusations américaines contre l’Iran, des images de satellite qui montrent ce qui semble être les conséquences de l’attaque aérienne sur le complexe de la raffinerie d’Abqaiq ont été diffusées. Les responsables américains affirment que l’emplacement des explosions prouve que les armes ne provenaient pas du Yémen, au sud, mais de l’Iran ou de l’Irak.

Même le New York Times, qui est normalement respectueux de l’autorité, a exprimé des doutes à ce sujet en commentant dans son reportage : « Les photos satellite publiées dimanche n’ont pas semblé aussi claires que ne l’ont laissé entendre les responsables, et certaines semblent montrer des dommages du côté ouest des installations, non en provenance de l’Iran ou de l’Irak. »

Les accusations portées par Pompeo et autres sont des affirmations gratuites, et non des explications fondées.

Il convient de noter que le président Donald Trump s’est abstenu de blâmer ouvertement l’Iran, et s’est contenté de faire simplement allusion à cette possibilité. Si Pompeo est si catégorique dans ses accusations contre l’Iran, pourquoi n’en va-t-il pas de même pour Trump ? En outre, le président a fait une remarque significative lorsqu’il a dit qu’il attendait une « vérification » de la part de l’Arabie Saoudite « sur leur opinion quant aux responsables de l’attentat ». Encore une fois, si les responsables américains accusent explicitement l’Iran, pourquoi Trump dit-il qu’il veut une « vérification » de la part des Saoudiens ?

Pour sa part, l’Iran a catégoriquement réfuté les allégations selon lesquelles il aurait été impliqué, affirmant que les déclarations de Pompeo étaient « aveugles » et équivalaient à monter de toutes pièces un casus belli.

Le Premier ministre irakien Adel Abdul Mahdi a également rejeté les allégations selon lesquelles le territoire de son pays aurait été utilisé par des militants chiites pro-iraniens pour lancer les frappes aériennes.

Les rebelles houthis du Yémen ont publié des déclarations claires, revendiquant la responsabilité des raids aériens sur les installations pétrolières saoudiennes. Ils ont précisé que les armes étaient des drones et non des missiles, en ajoutant que 10 véhicules aériens sans pilote (UAV) avaient été déployés.

De façon notable aussi, la plupart des médias américains ont rapporté initialement que les attaques avaient été lancées par des drones en provenance du Yémen. L’Associated Press a fait état d’un haut niveau de sophistication dans les attaques : des drones ont d’abord été utilisés pour désactiver les systèmes radar américains Patriot avant que d’autres drones ne procèdent aux frappes aériennes.

Il semble donc que les responsables américains tentent de brouiller les pistes en blâmant l’Iran. C’est imprudent, car la conséquence logique pourrait être le déclenchement d’une attaque militaire contre l’Iran, dans un contexte où Téhéran a averti qu’il est prêt à la guerre.

Le raisonnement qui justifie la dénonciation de l’Iran est que les rebelles yéménites (que l’Iran soutient politiquement) ne sont tout simplement pas capables d’utiliser aussi efficacement des drones contre l’industrie pétrolière saoudienne. Le coupable doit forcément être l’Iran, c’est leur rationalisation : ce serait la suite du sabotage présumé par l’Iran contre des pétroliers dans le golfe Persique, au début de l’été dernier.

Cependant, la chronologie des actions houthies de ces dernières années démontre qu’ils sont plus que capables de lancer des missiles balistiques toujours plus puissants et des drones pénétrant de plus en plus profondément en territoire saoudien. Les rebelles utilisent des drones depuis le début de la guerre lancée en mars 2015 par la coalition saoudo-américaine soutenue par les États-Unis contre ce pays du sud de l’Arabie.

Au cours des quatre dernières années, la puissance de feu aérienne houthie s’est améliorée de façon progressive et constante. Au début, les Saoudiens, avec les systèmes de défense américains, étaient capables d’intercepter les drones et les missiles du Yémen. Mais au cours de l’année dernière, les rebelles ont augmenté leur taux de réussite en atteignant des cibles de l’intérieur du pays saoudien, y compris la capitale Riyadh.

En mai de cette année, des drones houthis ont frappé le pipeline est-ouest de l’Arabie Saoudite. Puis, en août, des drones et des missiles balistiques auraient frappé le champ pétrolier de Shaybah, près de la frontière avec les Émirats Arabes Unis (EAU), ainsi que le complexe exportateur de Dammam, dans la province orientale de l’Arabie Saoudite.

Les Yéménites affirment qu’ils portent la guerre au sein de l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis, après des années de frappes aériennes incessantes sur leur patrie qui ont fait près de 90 000 morts. Un récent rapport de l’ONU a accusé les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France de possible complicité dans des crimes de guerre à travers leur soutien militaire à la coalition saoudienne.

Les monarques d’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis doivent craindre que les rebelles du Yémen, un pays déchiré par la guerre et en proie à la famine, ne s’en prennent maintenant à eux avec des drones qui pourraient démolir leur économie pétrolière. Qui plus est, le très vanté protecteur américain n’est pas en mesure de tenir ses promesses stratégiques, malgré les milliards de dollars d’armement du Pentagone. C’est pourquoi Washington se cherche une excuse en désignant l’Iran comme le méchant.

 

Traduction et note d’introduction Entelekheia
Photo : Système de défense aérienne Patriot/Youtube

 

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