Belgocontrol – Sus aux contrôleurs du ciel

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Un petit billet pour exprimer ma colère face au traitement proprement indécent et scandaleux réservé aux contrôleurs de Belgocontrol.

C’est au triste spectacle d’une véritable mise au pilori politico-médiatique, sur fond d’un populisme proprement écoeurant, que la Belgique a pu assister aujourd’hui.

Assister ?  Que dis-je !  Participer aussi, puisque – exceptionnellement – les médias ont largement donné la parole aux usagers (les pauvres victimes) aux employeurs (d’autres victimes) et aux politiciens (victimes eux aussi d’une sorte de malédiction à peine 3 semaines après les attentats).

Ainsi tout le monde y est allé de sa petite rancoeur personnelle à l’encontre de ces « salopards de contrôleurs aériens gâtés pourris qui sont traités comme des princesses et qui trouvent encore le moyen de se plaindre ».

Le seul article qui tente de remettre l’église au milieu du village étant une interview de deux contrôleurs aériens par Bernard Padoan sur le site du Soir.

Le même Soir qui n’a pas hésité après s’être fendu d’un éditorial assassin, à ouvrir sa tribune à tout ce que le tarmac pouvait compter comme usagers dont on peut comprendre qu’ils étaient légèrement remontés.  Pas un article, non, juste de la rage pure déversée par tombereaux entiers.

Dans lequel on accuse pratiquement les contrôleurs de prendre le relais des terroristes, rengaine d’ailleurs abondamment relayée par les politiciens avec en tête le Premier ministre Charles Michel.

Jetés en pâture aux fauves

On aura tout vu, tout lu et tout entendu, ces dernières 24h.  De politiciens, bien sûr, tel notre valeureux Premier déclarant que « les médecins qui délivrent des certificats de complaisance devraient être poursuivis ».

Intervention ridicule mais aussitôt double-plussée par le Vice-président du Conseil National de l’Ordre des médecins qui confirme que non non, c’est pas bien (…)

En pratique, des médecins de contrôle avaient été envoyés chez les contrôleurs en question, et ceux-ci ont confirmé le diagnostic posé précédemment.

Mais alors quel était exactement le but de cette séquence, puisqu’au moment du montage du JT, chacun savait ce qu’il en était ?  N’y aurait-il pas là comme une tentative d’intimidation ?  Ou de suggérer que les intéressés simulaient leur incapacité ?

Vous reprendrez bien un peu d’argument d’autorité ?

Pour donner un peu de crédibilité à une idée qui ferait hérisser les cheveux sur la tête de n’importe quel citoyen belge en temps normal, les médias n’ont pas lésiné sur les moyens et fait appel à des « experts » qu’on imagine des sommités dans leur domaine.

Et accessoirement on notera que ces experts proviennent uniquement de la KUL.  Il faut croire que tous les experts des facultés francophones du pays avaient poney à cette heure-là.

Ainsi, la DH de citer Pieter Pecinovsky (chercheur à l’Institut du droit du travail à la KU Leuven) :

« L’instauration d’une interdiction de grève pour les contrôleurs aériens est socialement défendable car leur fonction est vitale pour l’ordre public et une grève de ce type est dommageable pour l’économie. Toutefois, je doute qu’une interdiction serait acceptée par des instances comme l’Organisation internationale du travail ou le Comité européen des droits sociaux« 

Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en lisant cette dernière phrase.

Ainsi vous pensez que L’OIT ou l’Europe pourraient se montrer réticentes à l’idée de supprimer purement et simplement le droit de grève pour une catégorie de travailleurs ?   Pourquoaaaaaaaa ?

Mais à part ce petit détail gênant, l’interdiction de grève serait défendable

parce qu’une grève de ce type est dommageable pour l’économie.

Ah, parce qu’il existerait aussi des grèves qui ne seraient pas « dommageables pour l’économie » ?

Et de citer également Roger Blanpain, professeur émérite en droit du travail à la KUL, pour enfoncer le clou.

Rappelant qu’en pareilles circonstances :

Le président Ronald Reagan avait licencié les contrôleurs aériens en grève et les avait remplacés par des militaires

Virer tous ces feignants : en voilà une idée qu’elle est bonne !

Tellement bonne que la DH (encore elle) s’est fendue d’un article complet sur la question.

Du lourd dans lequel on entend vous initier aux vertus du dialogue social à l’américaine.  C’est un peu comme la politique étrangère américaine, mais à la maison.  Sans drones et sans waterboarding, d’ailleurs interdit depuis peu.

Et obligatoirement, cela débute par :

Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’une action détestable et irresponsable.

Qui sont ces nombreux observateurs ?  On ne sait pas trop, on sait juste qu’ils sont nombreux et qu’ils sont observateurs.

Et il faudrait arrêter avec les questions stupides.  Tout le monde sait que cette action est « détestable et irresponsable« .  Exactement avec ces mots-là, dans cet ordre-là.  C’est tout.  Vu ?

Le reste est un compte-rendu de cet événement typiquement américain.  Le gentil cow-boy prévient les indiens qu’ils doivent capituler sans conditions, puis les massacre sans pitié.  Après tout ils avaient été prévenus gentiment, non ?

N’y a-t-il personne pour voir ce qui crève les yeux ?

Le conflit chez Belgocontrol dure depuis des mois.  il s’agit d’un bras de fer entre la direction et les contrôleurs qui porte sur des questions qui vont largement au-delà de la question de l’âge de la pension :

ces négociations sont en cours depuis plusieurs mois. Elles concernent les pensions, mais pas seulement. Il y a énormément d’autres problèmes internes : le management, les moyens techniques et humains… Cela fait des mois que la direction nous pousse vers la grève pour pouvoir refiler le dossier à la ministre Galant

Et la direction a décidé de passer en force, en « achetant » au passage un accord à un syndicat ne représentant même pas 10% des contrôleurs, au mépris de toute forme de concertation sociale.

Ils ont été au clash, parce qu’ils savaient qu’ils pourraient en reporter toute la responsabilité sur les aiguilleurs qui ne sauraient pas se défendre.

Je ne suis pas fier d’être Belge, ce soir

Des épisodes comme celui-ci sont peu glorieux, montrent comme l’opinion est facilement influençable surtout quand c’est l’effet de meute qui joue, rarement pour le meilleur.

Je ne suis pas fier de mes dirigeants qui pour des raisons bassement politiques mettent en danger la vie d’autrui, à commencer par celle de ces personnes qui doivent se sentir comme des pestiférés, à l’heure où j’écris ces lignes.

lvpc

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles