Brexit – les Anglais disent NON à l’Europe

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À l’occasion d’un référendum historique, les Anglais se sont massivement prononcés pour que leur pays quitte l’Union Européenne. C’est un camouflet pour le premier ministre David Cameron, et pour la Commission Européenne, qui espérait un sursaut de dernière minute.

En cette journée du 23 juin 2016, les citoyens britanniques étaient appelés à décider du maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne, au cours d’un référendum qualifié d’historique. Et ils se sont prononcés largement pour le Brexit (51.9%). Le taux de participation était quant à lui de 72%.

C’est un véritable séisme politique, un triomphe pour les partisans du « leave » tels Nigel Farage et Boris Johnson; et une Bérézina pour le premier ministre David Cameron qui a d’ores et déjà annoncé sa démission.

Conséquences du référendum ?

Eh bien le vote démocratique s’étant exprimé, il ne reste plus au gouvernement britannique et au parlement à transcrire ce choix en droit et en modalités. Je ne vais pas refaire ici les plans sur la comète d’une presse qui n’a fait que recopier les déclarations imbéciles de responsables européens comme Donald Tusk. Parce que la réalité c’est que personne ne connaît intégralement les modalités et donc le planning de la sortie d’un État de l’union par l’article 50 puisque précisément il s’agit d’une première.

La tentation totalitaire

A plusieurs reprises on a entendu, à la suite de référendums qui n’avaient pas donné les résultats escomptés des dirigeants européens se prononcer pour un passage en force via les parlements nationaux, au titre que les électeurs « répondraient presque systématiquement à côté de la question ». Et s’ils ne comprennent pas la question, il faut bien que quelqu’un décide pour eux, n’est-ce pas ? On l’avait encore vu récemment lors du référendum hollandais sur le rapprochement avec l’Ukraine.

N’a-t-on pas aussi lu ces derniers jours, dans le très sérieux Financial Times un article signé d’un juriste, David Allen Green qui évoquait la possibilité pour le gouvernement de David Cameron de rejeter légalement les résultats du référendum (s’il s’avérait en faveur du Brexit, of course) ?

What happens next in the event of a vote to leave is therefore a matter of politics not law. It will come down to what is politically expedient and practicable. The UK government could seek to ignore such a vote; to explain it away and characterise it in terms that it has no credibility or binding effect (low turnout may be such an excuse). Or they could say it is now a matter for parliament, and then endeavour to win the parliamentary vote. Or ministers could try to re-negotiate another deal and put that to another referendum. There is, after all, a tradition of EU member states repeating referendums on EU-related matters until voters eventually vote the “right” way.

Mais s’il y a bien une « tradition » en Europe de refaire voter les citoyens jusqu’à ce qu’ils votent « correctement », une telle situation serait totalement inédite, et terriblement risquée pour le gouvernement britannique. En effet, il ne s’agit pas ici d’adhérer à tel ou tel traité normatif, mais bien de rejeter en bloc l’Union Européenne, et d’en sortir définitivement. À cet égard, il faut également se rappeler que la population s’est très largement exprimée (72%) sur cette question.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que l’Angleterre est la plus vieille démocratie du monde. Parfois difficile à saisir pour les continentaux, pétrie de traditions mélangeant religion, monarchie, et un système bicaméral compliqué. Mais il reste que les Anglais y sont très attachés.

L’avenir de l’Union Européenne

Après ce camouflet cinglant, les dirigeants européens et les gouvernement nationaux ne pourront plus faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il me paraît qu’ils ne pourront plus feindre de croire que ce projet continue à susciter l’adhésion alors que dans l’immense majorité, les peuples d’Europe n’ont jamais été consulté sur la question. La construction européenne est en panne depuis un quart de siècle, et ne s’attache qu’à l’aspect purement économique, par des politiques essentiellement basées sur la limitation des dépenses, les privatisations à marche forcée et finalement, la dislocation de ce qui fait les spécificités nationales. C’est contre cela, bien plus que contre la politique de migration que se sont exprimés hier les Britanniques, contrairement à ce qu’on aurait voulu nous faire croire.

Nos politiques vont dans un premier temps tous y aller d’un petit refrain sur le « repli nationaliste » exprimé par ce scrutin, avec l’air attristé de circonstance; en jurant leurs grands dieux que jamais, au grand jamais cela ne pourrait se passer dans leur propre pays. Naïfs ou fourbes ? A vous de juger. Quoiqu’il en soit, la méthode Coué trouve rapidement ses limites lorsqu’elle se trouve confrontée à la réalité.

La réalité c’est qu’une véritable intégration européenne supposerait une véritable intégration politique et sociale, totalement absentes aujourd’hui. L’Union Européenne est un marché, développé plutôt comme une multinationale que comme un État. Il n’y a pas d’identité européenne, il n’y a pas de nation européenne, il n’y a pas de langue commune. Rien qu’un ensemble de règles kafkaïennes rédigées par une administration qui a érigé l’autisme au rang de méthode de communication. Et ça ne marche plus. Les Anglais viennent d’en tirer brutalement les conclusions.

Est-ce que nous saurons également tirer les conclusions qui s’imposent ? Qu’on ne vienne plus nous parler d’une « autre Europe » totalement hypothétique sachant que pour modifier une simple virgule dans les traités il faudrait obtenir l’assentiment de la totalité des États Membres. C’est une fable, et elle ne prend plus.

Aujourd’hui, vendredi 24 juin 2016 pourrait bien être, selon les termes de Nigel Farage le jour de l’Indépendance. L’avenir nous le dira. En tout cas c’est une bonne nouvelle pour la démocratie, et ça fait un bien fou.

Notes

Petit rappel des précédentes consultations ayant donné lieu à des décisions dans le même sens

Dans une large majorité, chaque fois que les citoyens d’Europe ont été consultés, que ce soit sur les traités ou sur l’élargissement, ils se sont montrés plus que sceptiques, quand ce n’était pas totalement opposés.

Communautés Européennes

En 1972 la Norvège rejette par référendum son adhésion au Communautés Européennes (53,5%).

En 1982, Le Groenland qui faisait de facto partie des communautés européennes depuis l’adhésion du Danemark en 1973 se prononce à 53% pour une sortie de la construction européenne. Trois ans plus tard, le Groenland sortait officiellement de la construction européenne.

Traité de Maastricht

Au Danemark, deux référendums furent organisés avant que le traité de Maastricht ne soit approuvé. Le premier référendum eut lieu le 2 juin 1992. Avec une participation de 82,9 %, le traité de Maastricht fut rejeté avec seulement 49,3 % de vote en faveur du traité.

Élargissement de 1995

Le 28 novembre 1994, la Norvège organisait un nouveau référendum sur son adhésion lors duquel la population se prononça contre à 52,2 % des suffrages exprimés.

Traité de Nice

Le 7 juin 2001, 53,9 % des électeurs irlandais rejetèrent la ratification du traité par référendum avec seulement 34,8 % de participation. La ratification fut de nouveau soumise à référendum le 19 octobre 2002. Il fut accepté à 62,9 %, avec un taux de participation de 49,5 %.

Monnaie unique

En Suède, le référendum sur l’euro eut lieu le 14 septembre 2003. Les Suédois rejetèrent l’adoption de l’euro à 56,1 % des votants, avec un taux de participation de 81,2 %.

Traité établissant une constitution pour l’Europe

À la suite de la Convention sur l’avenir de l’Europe, un traité établissant une constitution pour l’Europe fut signé. Celui-ci devait être soumis à référendum dans dix États membres, cependant, il ne s’est effectivement déroulé que dans quatre d’entre eux.

Le 29 mai 2005 les Français s’exprimaient à 55% contre ce traité. Le taux de participation était de 69%.

Le 1er juin 2005, avec 63,3 % de participation, 61,5 % des Néerlandais votaient contre ce traité.

Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union Européenne

Un référendum sur l’approbation de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union Européenne a lieu aux Pays-Bas le 6 avril 20167. Il est rejeté par 61,59 % des votants et la signature de l’accord est suspendue tant que le Parlement néerlandais n’adoptera pas une nouvelle loi soit pour annuler la ratification, soit pour la maintenir.

Adhésion de la Suisse à l’Union Européenne

Votation sur la candidature à l’adhésion à l’Union européenne en 2001 (76,85 % contre la candidature)

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles