Chez Ballast, LVSL prend du vent dans les voiles et puis s’envole

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La revue en ligne Ballast fait l’apologie de LVSL (Le Vent Se Lève)  — à ne pas confondre avec LVMH — , une revue bourgeoiseuse educated qui, se plaçant ouvertement dans la lignée des Mouffe-Laclau, entend mener « une guerre de mouvement » contre les oligarques qui dominent le paysage néolibéral, « tracer une ligne de démarcation claire, à l’endroit le plus pertinent, entre l’adversaire et nous », « créer un eux et un nous de part et d’autre d’une frontière intérieure à la société » et « [se] battre toujours pour faire avancer cette frontière antagonique, pour faire avancer [ses] lignes et faire reculer l’adversaire ». Comme l’a montré Jean-Pierre Garnier dans  Le grand guignol de la gauche radicale (aux Editions Critiques), les Mouffe-Laclau ont remplacé l’ennemi de classe par « l’adversaire », parlent d’oligarques mais pas de la bourgeoisie, luttent contre le néolibéralisme mais pas contre un capitalisme qui, de toutes manières, restera vautré dans le lit crasseux des Voracités, et entendent, comme LVSL, repousser une « frontière intérieure » et surtout pas renverser un ordre établi, une « pensée » qui ressemble d’ailleurs étrangement aux théories de la gouvernance qui préfèrent substituer une multitudes de conflits à la vieille lutte des classes à grand-papa.

LVSL refuse de livrer une bataille frontale contre le néolibéralisme car ce serait vain: « Attaquer une forteresse trop bien défendue est au mieux stupide, au pire suicidaire » affirment les rédacteurs de la revue. Pour contrer « l’hégémonie néolibérale », ces bretteurs adoptent donc une tactique non suicidaire. Ils déclarent une « guerre culturelle », une « bataille des idées et des mots ». Le but des « acteurs de cette guerre » – en l’occurrence les membres de la rédaction de LVSL – est de « conquérir des positions sociales », d’ « avancer leurs pions », et ainsi de « faire progresser leur vision du monde ». Manger la bête de l’intérieur, comme font les fourmis qu’on voit entrer et sortir en longues processions des entrailles envahies de leurs victimes agonisantes, telle est donc la stratégie qu’ils ont choisie et qui réussira, selon eux, à coup sûr. Les voilà donc partis à la conquête de positions, les voilà donc s’embourgeoisant pour prendre la place du bourgeois. Mais qui peut sincèrement croire à un tel scénario? Quelle valeur a leur vertu proclamée puisqu’aujourd’hui elle ne s’exerce qu’au royaume des mots? Qui nous dit que, lorsqu’ils auront conquis leurs places fortes, lorsqu’ils auront atteint leurs positions, à coups d’engagements et de compromissions, lorsqu’ils auront vieilli dans le confort et la bien-pensance de leur statu quo, ils ne l’oublieront pas, leur vertu pour le moment désoeuvrée ? Qui peut nous assurer qu’ils se mettront au service des have not et ne s’associeront pas à ceux qui, aujourd’hui, font de l’ombre à leurs idées? Qui peut nous garantir qu’ils mettront leurs privilèges au service de tous et qu’ils ne dissimuleront pas leurs coffres-forts derrière des toiles peintes de scènes prises aux révolutions?

Je les trouve bien pompeux, à l’instar de leur camarade Iñigo Errejón, l’idéologue de Podemos – lui aussi cornaqué  par Chantal Mouffe -, qui a affirmé sans rougir – et LVSL le cite – que « les mots ‘sont des collines dans le champ de bataille de la politique’ et que celui ‘qui les domine a gagne´ la moitie´ de la guerre’ ». Quand on sait que Podemos est partisan de rester dans l’OTAN (que Pablo Iglesias veut réformer de l’intérieur), partisan de rester dans « l’Europe » (que Pablo Iglesias veut réformer de l’intérieur) et uniquement préoccupé par les échéances électorales (comme les partis traditionnels et corrompus), on peut prédire sans grand risque de se tromper que ce parti déjà systémique deviendra, au mieux, dans quelques années, un PSOE barbichu et ‘décravaté’.

Décidément, Chantal Mouffe est partout. Et faut-il rappeler avec Jean-Pierre Garnier qu’elle  a conseillé l’athénien burlesque Tsipras et qu’elle est venue se frotter les babines aux tribunes de la France Insoumise pour y laisser ses sécrétions?

Je ne dis pas que LVSL ne publie pas de bons articles, la question n’est pas là. Mais, compte-tenu du caractère ridiculement romantique de leur manifeste, compte-tenu aussi du profil idéologique de la pasionaria qui leur a soufflé dans les voiles, je me dis qu’il est préférable de rester à quai et de regarder ce vaisseau rêveur se diluer tout là-haut, dans les nuages roses du crépuscule, en sirotant un verre de Jérez.

Article original sur la page facebook de Bruno Adrie

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Bruno Adrie

Agrégé d'espagnol, Bruno Adrie est un auteur français qui, à ce jour, a publié trois ouvrages de fiction et anime un blog de réflexion sur l'histoire et l'actualité. Son blog