Comme une odeur de souffre

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Il y a un mois se produisaient à Paris les attentats terroristes les plus meurtriers dans le pays depuis la seconde guerre mondiale, faisant 130 morts et plongeant celui-ci dans l’angoisse et la terreur. La Belgique, où résidaient un certain nombre des terroristes ayant perpétré ces attentats a été aussi littéralement mise en état de siège, durant les semaines qui ont suivi.

La France est en état d’urgence pour au moins trois mois (février 2016), et en Belgique, si la constitution ne le permet pas, disons qu’on fait de beaux efforts pour que ça y ressemble très fort.

Les dérives

Comme lors des attentats à Charlie Hebdo, les autorités insistent sur le fait que ce n’est pas la communauté musulmane qui est responsable, mais des terroristes [islamistes?] « radicalisés » voire « autoradicalisés via internet1

Chasse aux sorcières

En pratique, on assiste, en Belgique comme en France à une véritable chasse aux sorcières, qui commence tout doucement à ressembler à un fascisme rampant.

Dans la presse ce week-end :

Brussels Airport a désactivé d’urgence deux badges permettant de circuler dans l’aéroport international. Le premier avait appartenu à Abdellah Chouaa, l’homme arrêté le 23 novembre, toujours emprisonné et suspecté d’avoir aidé Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, les ennemis publics n°1 et 2 recherchés de par le monde. Le deuxième badge est celui du propre frère de Mohamed Abrini. Il s’agit d’une mesure de prévention dans ce cas-ci, l’homme n’ayant a priori pas de lien avec les attentats.

En 3 ans, plus d’une vingtaines de badges appartenant à des personnes soupçonnées de radicalisation ont été désactivés par Brussels Airport.  (rtl)

La question que je me pose c’est : en droit ça donne quoi ?  C’est quoi être radicalisé ?  C’est comme Mgr. Léonard mais chez le concurrent ?  C’est avoir un Coran dans son casier ?  Faire trois prières par jour, respecter le ramadan, se nourrir exclusivement de fraises Tagada, ou simplement avoir un nom à consonnance arabe suffirait ?  En tout cas, apparemment, avoir un frère terroriste serait déjà une raison plus que suffisante.

S’agissant d’un domaine particulièrement critique, on pourrait comprendre la légitime préoccupation des autorités qui affecteraient momentanément ces travailleurs à des zones moins sensibles.  Soit.

Il est vrai que bien avant les attentats de Paris, ce genre de badge n’aurait pas du être délivré à des gens susceptibles d’appartenir à une mouvance islamique.

Pour mémoire, le premier Belge à être mort en martyr en Syrie, Zakaria El Bouzaidi était un employé ayant accès au tarmac, à Bruxelles-National.

Religieux = Radicalisé = Terroriste

Dans Sud-Presse de ce samedi :

Après les attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier, la Wallonie avait choisi de se doter de ce qu’on appelle un « référent radicalisme ». Son rôle : être à l’écoute des travailleurs de terrain qui ont reçu une formation pour détecter les signes d’une éventuelle radicalisation.

Les agents communaux, les CPAS mais également les écoles étaient concernés par cette mesure. Un numéro d’assistance a été mis à disposition de ces dernières afin qu’elles puissent contacter les deux référents radicalisme si un cas leur semblait suspect. «  Et depuis sa mise en service, 24 cas ont été traités au sein de nos écoles  », nous explique Olivier Laruelle, porte-parole de la ministre de l’Enseignement Joëlle Milquet. «  Les cas les plus inquiétants ont d’ailleurs été transférés au parquet  » (Sud-Presse)

Encore une fois, aucun fait précis, juste la notion valise de « radicalisé ».  Mais de quoi parle-t-on au juste ?  De clampins qui ont refusé de faire la minute de silence2 ?  Transférés au parquet ?  Sur base de quelles préventions ?

On imagine que le signalement au Parquet se sera fait de manière informelle, parce que dans le cas contraire, le porte-parole (c’est le cas de le dire) pourrait bien se voir à son tour poursuivi pour dénonciation calomnieuse et discrimination sur base de la religion.

Parce qu’on parle bien de poursuivre des gamins :

  • parce qu’ils seraient religieux pratiquants (ou qu’ils l’auraient prétendu)
  • et de ce qui précède, ils pourraient, qui sait, devenir des terroristes ?

Et pourquoi de telles mesures ne devraient s’appliquer qu’aux musulmans, si ce n’est parce qu’on les considère tous comme des terroristes en puissance ?

Est-ce que je me fais des idées où bien ça risque de compliquer singulièrement le vivre-ensemble dans les mois et les années qui viennent ?

Souvenirs

Est-il permis de rappeler à nos édiles et aux saigneurs (sic) de la guerre qui tiennent lieu de diplomates en France qu’au début de la guerre civile en Syrie, ils faisaient pratiquement l’apologie de ces jeunes gens qui par idéal allaient combattre aux côtés de l’Armée Syrienne Libre ?

Puis ce furent les premières inquiétudes : on les aimait bien quand ils étaient en Syrie, mais un peu moins quand ils revenaient : allez comprendre !

Puis vinrent les interdictions pour les mineurs de se rendre seuls à l’étranger, entendez : en Syrie.

Aujourd’hui, ce sont des terroristes, tous autant qu’ils sont.

Comme l’amour, la politique a des raisons que la raison ne connaît point.

Probablement les mêmes raisons qui font que Laurent Fabius reconnaît aujourd’hui un certain nombre de qualités à Assad alors qu’il avait déclaré, il n’y a pas si longtemps « qu’il ne méritait pas de vivre ».   Constance quand tu nous tiens…

C’est ça aussi les responsabilités.  On porte le chapeau et, parfois, on est contraint de le manger.

On a joué avec le feu en misant sur des terroristes fanatiques pour éliminer un régime décidément trop rétif aux visions néocolonialistes.

Et tant qu’ils s’entretuaient gentiment dans leur enclos, tout allait bien, mais maintenant qu’ils viennent porter le fer en Europe, ça a comme un petit air de Jurassik Park dont vous êtes le héros

  1. Ce qui est toujours très pratique quand on a l’intention de serrer les boulons de la liberté d’expression par le moyen de quelques projets de lois liberticides. La liberté, on aime bien en France, d’ailleurs c’est le pays des droits de l’homme. Mais attention, hein, pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! (Saint Just).
  2. (1) Refuser de participer à une minute de silence est l’expression (ici, l’absence d’expression) d’une opinion, et à ce titre, relève de nos libertés constitutionnelles. Je suis d’accord que c’est du dernier mauvais goût, que les auteurs ne comprennent probablement rien à leurs propres revendications sinon qu’ils sont contre… absolument tout (et tous), mais ça reste une opinion, et leur droit le plus strict.
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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles