F16 Belges en Syrie dès juillet

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Des F16 Belges effectueront des missions de bombardement sur les positions de Daesh  en Syrie dès le mois de juillet 2016.  Mais Sur base de quel mandat ??

Le comité ministériel restreint du Gouvernement fédéral a pris la décision de prolonger la mission des F16 actuellement déployés en Jordanie.

Dès le mois de juillet, ils seront amenés à effectuer des missions de bombardement sur les positions de Daesh non seulement en Irak, comme précédemment, mais aussi en territoire syrien.

Justification du gouvernement Michel

Les justifications avancées par le gouvernement sont pour le moins fébriles, et nous le verrons, scabreuses.

Autant l’Irak avait, en son temps, demandé l’aide de la coalition internationale pour lutter contre le terrorisme, autant les Syriens n’ont rien demandé, en particulier à la « coalition internationale ».

Or la Syrie est toujours à ce stade une nation souveraine et reconnue comme telle au sein des Nations Unies.

Qu’à cela ne tienne, on invoquera donc, tour à tour :

  • La « légitime défense collective », sur base de l’article 51 de la Charte des Nations Unies;
  • La nécessité de prendre la relève des F16 Néerlandais qui eux, mènent depuis plusieurs semaines des raids sur la Syrie;
  • La peur de froisser les Américains.

Prenons le temps d’examiner une à une ces justifications.

La « légitime défense collective », sur base de l’article 51 de la Charte des Nations Unies

Je ne résiste pas au plaisir de citer le passage dans l’article publié par Le Vif sur le sujet :

(…) Le gouvernement belge invoquera dès lors la « légitime défense collective », sur base de l’article 51 de la Charte des Nations Unies : l’Etat islamique ne connaît pas de frontières et opère contre les chasseurs-bombardiers belges en Irak depuis la Syrie.

Donc, si je comprends bien, si l’EI ne connaît pas de frontières, on ne voit pas pourquoi nous on devrait les (re)connaître, et d’autre part, l’EI opérerait contre les chasseurs-bombardiers belges en Irak ?!  Ça n’a absolument aucun sens.  Accessoirement, c’est aussi un sophisme, puisqu’on justifie l’agression par une possible réaction à cette agression.

Faut-il préciser qu’avec ce genre d’argumentaire on pourrait légitimer des frappes sur n’importe quel pays pour peu qu’il y ait dans ce pays UN seul terroriste ?

CHAPITRE VII : ACTION EN CAS DE MENACE CONTRE LA PAIX, DE RUPTURE DE LA PAIX ET D’ACTES D’AGRESSION

Article 39

Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

Article 40

Afin d’empêcher la situation de s’aggraver, le Conseil de sécurité, avant de faire les recommandations ou de décider des mesures à prendre conformément à l’Article 39, peut inviter les parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires qu’il juge nécessaires ou souhaitables. Ces mesures provisoires ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou la position des parties intéressées. En cas de non-exécution de ces mesures provisoires, le Conseil de sécurité tient dûment compte de cette défaillance.

Article 41

Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.

Article 42

Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’Article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies.

Article 43

  1. Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s’engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
  2. L’accord ou les accords susvisés fixeront les effectifs et la nature de ces forces, leur degré de préparation et leur emplacement général, ainsi que la nature des facilités et de l’assistance à fournir.
  3. L’accord ou les accords seront négociés aussitôt que possible, sur l’initiative du Conseil de sécurité.. Ils seront conclus entre le Conseil de sécurité et des Membres de l’Organisation, ou entre le Conseil de sécurité et des groupes de Membres de l’Organisation, et devront être ratifiés par les États signataires selon leurs règles constitutionnelles respectives.

Article 44

Lorsque le Conseil de sécurité a décidé de recourir à la force, il doit, avant d’inviter un Membre non représenté au Conseil à fournir des forces armées en exécution des obligations contractées en vertu de l’Article 43, convier ledit Membre, si celui-ci le désire, à participer aux décisions du Conseil de sécurité touchant l’emploi de contingents des forces armées de ce Membre.

Article 45

Afin de permettre à l’Organisation de prendre d’urgence des mesures d’ordre militaire, des Membres des Nations Unies maintiendront des contingents nationaux de forces aériennes immédiatement utilisables en vue de l’exécution combinée d’une action coercitive internationale. Dans les limites prévues par l’accord spécial ou les accords spéciaux mentionnés à l’Article 43, le Conseil de sécurité, avec l’aide du Comité d’état-major, fixe l’importance et le degré de préparation de ces contingents et établit des plans prévoyant leur action combinée.

Article 46

Les plans pour l’emploi de la force armée sont établis par le Conseil de sécurité avec l’aide du Comité d’état-major.

Article 47

  1. Il est établi un Comité d’état-major chargé de conseiller et d’assister le Conseil de sécurité pour tout ce qui concerne les moyens d’ordre militaire nécessaires au Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales, l’emploi et le commandement des forces mises à sa disposition, la réglementation des armements et le désarmement éventuel.
  2. Le Comité d’état-major se compose des chefs d’état-major des membres permanents du Conseil de sécurité ou de leurs représentants. Il convie tout Membre des Nations Unies qui n’est pas représenté au Comité d’une façon permanente à s’associer à lui, lorsque la participation de ce Membre à ses travaux lui est nécessaire pour la bonne exécution de sa tâche.
  3. Le Comité d’état-major est responsable, sous l’autorité du Conseil de sécurité, de la direction stratégique de toutes forces armées mises à la disposition du Conseil. Les questions relatives au commandement de ces forces seront réglées ultérieurement.
  4. Des sous-comités régionaux du Comité d’état-major peuvent être établis par lui avec l’autorisation du Conseil de sécurité et après consultation des organismes régionaux appropriés.

Article 48

  1. Les mesures nécessaires à l’exécution des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous les Membres des Nations Unies ou certains d’entre eux, selon l’appréciation du Conseil.
  2. Ces décisions sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie.

Article 49

Les Membres des Nations Unies s’associent pour se prêter mutuellement assistance dans l’exécution des mesures arrêtées par le Conseil de sécurité.

Article 50

Si un État est l’objet de mesures préventives ou coercitives prises par le Conseil de sécurité, tout autre État, qu’il soit ou non Membre des Nations Unies, s’il se trouve en présence de difficultés économiques particulières dues à l’exécution desdites mesures, a le droit de consulter le Conseil de sécurité au sujet de la solution de ces difficultés.

Article 51

Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

Analyse

A la lumière des articles 39 à 50, soient tous ceux qui précèdent le 51, on comprend que le Chapitre VII traite du règlement des conflits entre les Nations par l’intermédiaire du seul organe supra-national habilité à le faire : le Conseil de Sécurité.

L’article 51 quant à lui précise que les articles précédent n’abolissent pas le droit à la légitime défense…  Jusqu’à ce que le Conseil de Sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales.  Il s’agit tout bonnement d’une clause qui ne s’applique que dans l’urgence, en attendant que le Conseil de Sécurité ait pu se réunir, et décider des mesures à prendre.

Or il me semble que le conflit en Syrie prend ses racines avec les printemps arabe, quelque part en mars 2011.  Difficile d’invoquer l’article 51 et de justifier de l’urgence d’une intervention en dehors de tout cadre juridique.

Il s’agit en tout état de cause et sans le moindre doute possible de l’agression illégale d’un Etat souverain.

Légitime défense ?

Ensuite, comme je l’écrivais plus haut, de quoi parle-t-on au juste ?  Quelques milliers de rebelles fanatiques qui sèment la désolation en Syrie, mais aussi en Irak et en Libye.  En quoi cela autoriserait des état tiers à intervenir militairement dans les frontières d’un Etat souverain ?

L’armée Syrienne, appuyée par les milices kurdes du YPG et l’aviation russe ont mis pratiquement l’Etat Islamique en déroute, ces dernier mois.  Les défaites militaires s’enchaînent avec la régularité d’un métronome.  Au point que les Russes ont retiré le gros de leurs forces laissant à l’armée Syrienne le soin de terminer le boulot.

C’est tout de même assez étrange que chaque fois que Daesh (ou les rebelles) sont en difficultés, la « coalition » décide d’intervenir sur le terrain.

Et cela me semble surtout un moyen bien commode pour légitimer une agression.  Á cette aune, les Français estimant que les services de sécurité belges n’en faisaient pas assez pour lutter contre le terrorisme auraient été fondés à bombarder Molenbeek ?

Prendre la relève des F16 Néerlandais

Le deuxième argument présenté pour justifier une intervention en Syrie serait qu’il faudrait prendre la relève des F16 Néerlandais.  Drôle d’idée tout de même !  Et s’ils avaient décidé de reconquérir les Indes Néerlandaises, on y allait aussi ?

Le mimétisme ou l’habitude seraient devenus des critères décisionnels en matière de politique étrangère ?

Pour terminer sur ce point, j’avais également relevé une petite perle de manipulation dans l’article d’Olivier Rogeau (Le Vif) :

(…) les F-16 belges prennent le relais des chasseurs néerlandais, qui, sur décision de La Haye, ont élargi depuis plusieurs semaines leurs raids à la Syrie

Tout d’abord, le journaliste fait usage du présent de l’indicatif, qui n’est nullement approprié sauf à vouloir induire que tout est déjà décidé… Alors qu’il reste encore à obtenir l’aval de la Chambre des Représentants.    C’était donc soit le futur simple, soit le conditionnel qui était indiqué ici.

Mieux, le journaliste ne parle pas d’une décision du « gouvernement de Mark Rutte », ou du « gouvernement néerlandais » mais bien de « La Haye ». Qu’est ce que « La Haye » évoque pour la majorité des citoyens ?  En tout cas pas ce qui était écrit ici, à savoir que si Amsterdam est bien la capitale des Pays-Bas, c’est La Haye qui est le siège du gouvernement.

La peur de froisser les Américains

Là au moins, c’est clair.  Désormais, on part faire la guerre pour ne pas contrarier notre grand allié américain.  Et accessoirement parce que si on n’y va pas, il pourraient cesser de partager des informations avec nos services de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Menaces et chantage, les deux mamelles de la diplomatie américaine vis-à-vis de ses alliés.

Conclusion

Il reviendra au Parlement d’interroger le gouvernement quant aux motivations d’une telle campagne, ses coûts et ses implications.

Quels seront les objectifs, précisément ?  Les F16 bombardent à partir d’une altitude supérieure à 12.000 pieds, pour éviter d’être pris pour cible par des missiles guidés infrarouge de type Manpad.  Dès lors, il ne leur sera pas possible de savoir précisément qui ils sont en train de bombarder.

Qui leur fournira les renseignements tactiques, c’est-à-dire les coordonnées précises des objectifs à frapper ?  Comment savoir s’il ne s’agira pas en réalité de positions de l’armée régulière ou des milices YPG ?

Je ne parle même pas de faire la distinction entre les « rebelles armés » et Daesh…

On ne peut que déplorer que sur cette question comme sur tant d’autres, la presse se montre d’une veulerie qui frise la soumission pure et simple.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles