Faut-il craindre les Dr. Folamour ?

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Nous voyons ces jours-ci se multiplier dans la presse les articles les plus alarmistes relayant notamment les déclarations matamoresques du Chef d’État-Major américain, le Général Mark Milley.

Dans un discours que je qualifierais d’hallucinant, celui-ci avait déclaré :

La volonté stratégique de notre nation, les États-Unis, est remise en cause et nos alliances mises à l’épreuve d’une manière inédite dans l’histoire récente.

Je veux être clair pour ceux qui veulent nous faire du mal (…)  L’armée des États-Unis – en dépit de tous nos défis, en dépit de notre  tempo [opérationnel], en dépit de tout ce que nous avons fait – nous allons vous arrêter et nous allons vous battre comme vous n’avez jamais été battus auparavant.  Ne vous y trompez pas.

Portée politique du discours

« Nous allons battre comme vous n’avez jamais été battus auparavant »

Néanmoins, pour en apprécier la portée, ces déclarations sont à replacer dans leur contexte.  Il s’agit d’un discours prononcé devant un parterre de militaires et de représentants du complexe militaro-industriel à l’occasion du Salon annuel de l’Armée 2016 (AUSA), et pas du tout d’un discours officiel.  Cela ne représente nullement la position actuelle du Département d’État américain dans le dossier syrien.

Il s’agit donc essentiellement de son point de vue personnel, même si l’on se doute que ses opinions puissent être assez largement partagées dans les cercles néoconservateurs de Washington.

Voilà, ce n’est donc pas cette semaine que vous disparaîtrez dans le grand flash bleu d’une apocalypse nucléaire provoquée par quelque général détraqué, à la manière du célèbre film de Stanley Kubrick.

Pour le dire autrement : s’il n’a manifestement pas toutes ses frites dans le même sachet, une telle décision n’est pas en son pouvoir…  Rassurez-nous ?

Pourquoi une telle multiplication des déclarations bellicistes ces derniers jours ?

Cette agitation frénétique qui frise parfois la crise d’hystérie, nous la devons à l’état de désarroi complet dans lequel se trouve plongée la diplomatie américaine, si tant est que l’on puisse encore parler de diplomatie à ce stade.

La cause de ce tumulte est la situation désespérée dans laquelle se trouvent les insurgés à Alep.  La bataille fait rage et les rebelles, qui ne sont plus que quelques milliers retranchés dans la partie Est de la ville se sont vu couper leur principale voie d’approvisionnement et de soutien logistique, la route du Castello (au Nord de la ville).  Cette route, qui relie Alep au poste frontière de Kilis était utilisée par les rebelles pour acheminer les armes et les munitions en provenance du Golfe qui transitaient par la Turquie.

Les troupes de l’armée arabe syrienne appuyées par l’aviation russe qui multiplie les missions de type close air support (CAS) reprennent peu à peu les territoires perdus en 2012 et les terroristes d’al Cham ont le moral dans les chaussettes.

Faut-il dire que la situation est intenable aussi pour les civils plus ou moins pris en otage dans cette partie de la ville ?    Dans une entrevue récente de la journaliste indépendante Vanessa Beeley pour la chaîne du républicain américain Ron Paul, celle-ci, revenant d’Alep, déclarait que le quart des habitants de la zone sous contrôle des rebelles étaient les rebelles eux-mêmes et leurs familles; le reste étant des civils qui avaient choisi au départ de ne pas quitter leur maison et qui aujourd’hui ne le pourraient plus sous peine d’être exécutés par les rebelles ou de voir leur famille décimée en représailles.

A l’Ouest aussi, les civils meurent écrasés sous les bombes

Ce qui ne doit pas nous faire oublier qu’à l’Ouest de la ville, et particulièrement dans la zone de front, les civils paient également un lourd tribut comme en témoignait le documentaire de France 2 sur Pierre Le Corf, un Breton qui avait choisi de tout quitter pour venir en aide aux civils.

Un peu d’espoir – les médias commencent à parler de la situation à Alep Ouest

Dans un océan de propagande essentiellement dirigée contre le gouvernement syrien et les Russes qui leur apportent un soutien, quelques reportages commencent à faire surface, y compris sur les médias dominants, qui montrent une réalité nettement plus nuancée que celle qui nous avait été présentée jusqu’alors.

Dans la presse écrite aussi…

N’a-t-on pas vu hier le Figaro – pourtant jamais en reste quand il s’agit de diffuser la propagande atlantiste – ouvrir une tribune à Caroline Galactéros, Docteur en Science politique et colonel au sein de la réserve opérationnelle des Armées.

Dans cette tribune, on peut lire :

La France a pris les devants. Accusant avec l’ONU le régime syrien et la Russie de crimes de guerre à Alep, elle a déposé en hâte un projet de résolution au Conseil de Sécurité des Nations Unies demandant l’arrêt des combats et des bombardements sur l’est de la ville (dont elle feint de croire qu’il n’est peuplé que de civils innocents qui resteraient là de leur propre gré et que la Russie et le régime pilonneraient par pure cruauté), l’acheminement de l’aide humanitaire et la reprise du processus de négociation. (…).

Ce cinéma diplomatique vient évidemment de se solder par un véto russe, attendu par Paris, Londres et Washington qui veulent faire basculer l’indignation internationale contre Moscou à défaut de mettre en cohérence leurs objectifs politiques et militaires avec leur prétendue volonté de paix. Mais prendre la tête du chœur des vierges ne suffit pas et ne trompe plus personne. L’évidence crève l’écran. «L’Occident» ne mène pas la guerre contre l’islamisme sunnite ou alors de façon très résiduelle: il le nourrit, le conseille, l’entraine. DAECH, dont la barbarie spectaculaire des modes d’action sert d’épouvantail opportun et de catalyseur de la vindicte occidentale, permet de juger par contraste «respectable» l’avalanche de djihadistes sunnites d’obédience wahhabite ou Frères musulmans qui ne combattent d’ailleurs pas plus que nous l’Etat islamique mais s’acharnent sur le régime syrien. Et l’Amérique comme la France cherchent avec une folle complaisance, dans ce magma ultraviolent, des interlocuteurs susceptibles d’être intronisés comme «légitimes» et capables de remplacer un autocrate indocile qui a le mauvais goût de résister à la marche de l’Histoire version occidentale et à la vague démocratique censée inonder de ses bienfaits un Moyen-Orient politiquement arriéré.  (Les mises en gras ont été ajoutées).

On ferme les yeux, et on se pince.  Quand on les rouvre, le texte est toujours là !  Oh bien sûr, ce n’est pas le fait d’un journaliste du Figaro.  Ce genre de prose leur vaudrait probablement la porte ou serait tout bonnement refusée par le rédacteur en chef.

Mais quand même, suis-je le seul à penser que l’on est devant les premiers frémissements d’une forme de réveil -ou de bronco- des rédactions face à un positionnement idéologique qui devient difficilement justifiable ?

Pendant ce temps-là, la diplomatie française est à l’Ouest

Le site des observateurs (France 24) rapportait le 6 octobre que :

Le 28 septembre dernier, le compte officiel de la France à l’ONU publiait une photo montant des bâtiments détruits illustrés par une légende : « deux hôpitaux bombardés tôt ce matin à Alep », rappelant l’urgence de la situation dans cette ville syrienne.  Sauf que la photo n’a rien à voir avec la Syrie. (…).

Elle a été prise à Gaza au mois d’août 2014. Elle apparaît notamment dans cet article du média allemand NTV. À l’époque, Israël avait intensifié ses bombardements sur l’enclave palestinienne suspectant le Hamas d’avoir capturé des soldats israéliens.

Ce n’est pas seulement la photo qui est bidon, c’est l’information elle-même

Vérification faite, il semblerait que ce fait-divers soit une pure invention de John Kerry, ainsi qu’en atteste la transcription de la conférence de presse donnée par J. Kirby à la Maison blanche le 7 octobre.  Cuisiné par un journaliste sur cet événement qui n’avait été rapporté par aucune agence de presse ni aucune ONG sur le terrain, il commence par dire que peut-être Kerry faisait référence à un autre bombardement survenu dans une autre région du pays (Rif Dimashq)…

QUESTION : D’accord. Sur la Syrie et les commentaires du Secrétaire plus tôt ce matin, ma question est : Savez-vous de quelle frappe il parlait dans ses commentaires cette nuit concernant un hôpital à Alep ?

M. KIRBY : Je pense que le Secrétaire faisait référence en fait à une frappe que nous avons vu se produire hier sur un hôpital de campagne dans le gouvernorat de Rif Dimashq. Je ne suis pas tout à fait sûr que c’est ce à quoi il faisait allusion, mais je crois bien qu’il parlait de celle qui a eu lieu à –

QUESTION : Pas à Alep ?

M. KIRBY : Je crois que c’était – je pense que c’était – je pense qu’il – je suppose – il me semble qu’il a fait une petite erreur sur le lieu en se référant à une –

QUESTION : Mais vous n’êtes pas sûr ?

M. KIRBY : Non. Tout ce que je peux vous dire, au mieux de mes connaissances, c’est qu’il faisait très probablement référence à une frappe hier dans ce gouvernorat, mais il probablement fait cette erreur en toute bonne foi.

QUESTION : Si nous pouvions – si nous pouvions savoir avec précision ce dont il parlait –

M. KIRBY : Je vais faire de mon mieux, Matt. …

Source : arretsurinfo.ch

Pas très sérieux, me direz-vous. Mais ne vous méprenez pas, il s’agit bien d’une stratégie délibérée.  Vous annoncez un bombardement ou un fait-divers bien atroce que vous imputez à l’ennemi que vous souhaitez abattre, et vous faites largement circuler l’information dans la presse qui se chargera de la diffuser.

Ensuite, on vous fera remarquer que c’est une fausse information, et vous pourrez vous fendre d’un communiqué sibyllin dans lequel vous laissez entendre que peut-être, en effet, l’information donnée tout d’abord était fausse.  Et dans tous les cas, on se gardera de donner quelque écho dans la presse à ce qui n’est rien d’autre qu’un rétropédalage.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles