La Colombie, les escadrons de la mort et les droits de l’homme vus par les USA

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Presque quotidiennement, nous sommes bombardés par des « informations » sur des problèmes au Vénézuela. Et de fait, problèmes il y a, par exemple des pénuries de nourriture et de médicaments, et une inflation galopante. Mais quelque chose est occulté.

Par Dan Kovalik
Paru sur RT sous le titre Colombia, the death squads & the US’ human rights double standard


Ce qui est occulté par la presse est l’impact des sanctions sur la situation au Vénézuela et la façon dont ces sanctions empêchent le Vénézuela de résoudre ces problèmes.

Ce que la presse omet aussi est que la voisine de palier du Vénézuela, la Colombie, fait face à des problèmes humanitaires encore plus pressants. C’est la première alliée des USA dans la région et, étrangement, la toute nouvelle « partenaire mondiale » de l’OTAN en Amérique Latine. Et, les USA sont très largement responsables de ses problèmes aussi, mais de façons différentes.

La fait est que, sur plusieurs plans, la Colombie connaît l’une des pires situations quant aux droits de l’homme de la planète, mais vous ne le sauriez jamais en regardant vos infos du soir à la télé.

D’abord, la Colombie détient le record des personnes disparues de toutes les Amériques – même plus que tous les pays du Cône Sud conjugués au cours des années de la « Guerre sale » – à plus de 60 000 personnes.

De plus, la Colombie compte le plus grand nombre de personnes déplacées par des conflits de la Terre, à plus de 7 millions – juste derrière la Syrie. Et un nombre disproportionné de ces personnes déplacées sont indigènes ou afro-descendantes.

Ajoutons que la Colombie se classe cinquième dans le monde pour le nombre d’enfants déplacés par des conflits, avec deux millions de filles et de garçons déplacés. De façon choquante, elle se classe 3ème dans le monde pour le nombre d’enfants assassinés, avec 715 enfants tués au cours de la seule année dernière. Ces statistiques ont mené l’organisation Save the Children à conclure que la Colombie est « l’un des pires pays au monde où être un enfant ou un adolescent ».

La Colombie compte aussi parmi les pires pays au monde pour y être un activiste tel qu’un défenseur des droits de l’homme, un leader de syndicat, un chef indigène ou un chef afro-colombien. Ainsi, même après la signature d’un traité de paix entre le gouvernement colombien et les guérilleros des FARC en 2016, des activistes sont assassinés à un rythme alarmant. Plus de 200 activistes ont été tués depuis janvier 2017. En outre, 2017 a été la pire année de l’histoire du pays pour les militants des droits de l’homme en Colombie, avec un nombre record de 120 meurtres.

Bien sûr, les USA portent une lourde responsabilité dans cette horrible situation, parce qu’ils ont été les commanditaires de la guerre brutale de la Colombie contre son propre peuple, pendant des décennies, et qu’ils ont fourni des milliards de dollars en aides matérielles à cet effort de guerre. De fait, depuis 2000, les USA ont donné 10 milliards de dollars à la Colombie, principalement en assistance militaire, dans le cadre de son programme de contre-insurrection connu sous le nom de ‘Plan Colombia’. Au cours des années du Plan Colombia, l’armée colombienne a tenté de drainer plus d’assistance militaire américaine en massacrant des civils et en les faisant ensuite passer pour des guérilleros d’extrême gauche. Selon de récentes évaluations, l’armée aurait massacré 10 000 civils dans cette macabre opération de « faux positifs ».

Mais les USA sont également derrière une force encore plus sombre que l’armée colombienne – à savoir, les escadrons de la mort paramilitaires colombiens. Bien que ceux qui vivent dans les endroits reculés de la Colombie soient douloureusement conscients de la présence et de la brutalité des paramilitaires, ces derniers sont aujourd’hui un secret bien gardé dans les zones plus aisées des grandes villes de Colombie et encore plus hors des frontières de la Colombie. De fait, les gouvernements américain et colombien démentent l’existence même de ces groupes paramilitaires, et la presse complice se fait également fort de garder le secret.

Récemment, le défenseur des droits de l’homme le plus important de Colombie, le Père Javier Giraldo (Compagnie de Jésus), a parlé du phénomène paramilitaire, dont il est expert. Comme il l’explique, « Nous avons des bras clandestins ou semi-clandestins de l’État, qui sont ces groupes paramilitaires. Aujourd’hui, il n’est plus toléré d’en faire mention en tant que tels, mais je continue de les appeler paramilitaires, parce que c’est le terme approprié. »

Le Père Giraldo décrit les origines des escadrons de la mort paramilitaires, une force développée par les USA avant même l’émergence des guérilleros d’extrême gauche en 1964. Comme il l’explique :

« En 1962, quand Guillermo León Valencia était président, une mission de l’armée des USA, d’une école militaire spéciale de Caroline du Nord, est arrivée en Colombie… Ils ont analysé la situation en Colombie et laissé des instructions secrètes, qui donnaient l’ordre au gouvernement colombien de commencer à entraîner des groupes mixtes de civils et de militaires, et de les préparer à des activités terroristes paramilitaires pour combattre les sympathisants du communisme[1].

«…  Le président Valencia, le jour de Noël 1965, a édicté le Décret 3398 qui changeait le nom du Ministère de la guerre en Ministère de la défense et autorisait la formation de milices civiles comme auxiliaires des forces armées. C’est la base légale des paramilitaires. »

« … Les États-Unis ont commencé à diriger tout l’appareil de sécurité de la Colombie et de ses agences… d’abord avec 400 officiers de l’armée des USA, aujourd’hui avec au moins 800. Les milices paramilitaires créées à cette époque, avec tous leurs soutiens légaux, ont été réaffirmées. »

Bien sûr, comme le Père Giraldo l’a expliqué en de nombreuses occasions, les « sympathisants du communisme » ciblés par les paramilitaires sont les leaders syndicaux, les défenseurs de droits de l’homme, les leaders paysans et les prêtres catholiques qui prennent la défense des pauvres. Pour les prêtres catholiques, plus de 80 d’entre eux ont été assassinés depuis 1984 pour le crime d’avoir pris le parti des pauvres.

A cause de l’augmentation des meurtres de ces leaders sociaux et des déplacements forcés de masse après le désarmement des FARC, il devient plus évident que jamais que les paramilitaires ont la part du lion des violations des droits de l’homme en Colombie. Mais encore une fois, vous n’en sauriez rien en lisant votre presse habituelle ou en regardant les infos du soir à la télévision. Et les Colombiens qui souffrent sous le joug de ces paramilitaires sont douloureusement conscients de l’omerta dont ils font l’objet.

Encore récemment, quand j’étais en Colombie pour le premier tour des élections présidentielles, notre délégation a rencontré des résidents de la bourgade de Suarez (Département Cauca), qui venaient de perdre trois des leurs à cause de la violence paramilitaire. Un des membres de la communauté nous a demandé d’un ton désespéré, « Qu’est-ce que nous pouvons faire pour que le monde soit au courant de la poursuite de l’existence des paramilitaires ? » Je lui ai répondu que c’est ce que nous tentons de faire, mais que peu de gens nous écoutent.

Pendant notre séjour en Colombie, un coordinateur de campagne pour un candidat à la présidence, Gustavo Petro, a été assassiné par des paramilitaires à la veille des élections. Le groupe paramilitaire connu sous le nom « Aguilas Negras » (les aigles noirs) avait menacé les partisans de la candidature de Petro quelques jours avant le vote du 27 mai.

Si la crise humanitaire et politique recevait ne fût-ce qu’une partie de l’attention portée par les médias à son voisin, le Vénézuela, les gouvernements des États-Unis et de la Colombie auraient au moins une motivation pour améliorer la situation et poursuivre les groupes paramilitaires qui continuent de hanter le pays. Le silence presque complet sur le degré affolant de violence en Colombie est l’une des clés de la perpétuation de cette violence. De fait, les paramilitaires ont toujours dépendu de leur capacité à opérer dans l’ombre, et la presse occidentale se fait un devoir de les aider à cet égard.

Dan Kovalik enseigne le Droit humanitaire international à université de Pittsburgh, en Pennsylvanie. Il a écrit ‘The Plot to Attack Iran.’

Traduction Entelekheia

Notes

[1] La tactique des milices paramilitaires a été appliquée par les USA contre le « communisme » ailleurs en Amérique du Sud. Par exemple, en Bolivie, dans les années 1970-80, l’un de ces groupes paramilitaires (et de trafiquants de drogue, tout comme en Colombie) était dirigé par un nom bien connu en France, l’ancien chef de la Gestapo de Lyon Klaus Barbie, qui avait été exfiltré en Argentine, puis en Bolivie après la guerre. Voir l’article Cocaïne : Klaus Barbie, les USA et la connexion nazie

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