La gauche française – chronique d’une disparition annoncée

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Il ne se passe plus une semaine sans que ne soit évoquée, dans la presse écrite ou à la télévision, la disparition de la gauche, possible pour certains, inéluctable pour d’autres.   Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Cela n’a pas pu vous échapper, toute la presse en parle, c’est devenu le sujet politique très tendance à l’approche de l’élection présidentielle qui sera organisée les 23 avril et 7 mai prochains.  Et chacun d’y aller de son petit couplet, tout en faisant comme si la disparition du Parti Socialiste représentait en fait la mort des valeurs de la gauche, comme si la défense des valeurs de progrès social n’avaient plus lieu d’être en ce début du 21ème siècle, où un libéralisme social par nature bienveillant aurait naturellement succédé au socialisme vieillissant et forcément ringard.

Faillite des valeurs de la gauche, vraiment ?

Vous l’aurez remarqué sans peine, les éditorialistes et les politiques de tous bords continuent de feindre que le parti socialiste français défendrait les valeurs de la gauche.  Mieux, il les incarnerait au point que sa mort sonnerait le glas de celles-ci.   Inlassablement répétée comme un mantra, cette antienne relève de la désinformation grossière et pour tout dire, du voeu pieu de la classe politique dominante qui s’est attachée depuis 1983 à détruire systématiquement la gauche française, en l’éloignant peu à peu de ce qu’était l’idéal socialiste.

Quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots

Cette phrase de Jean Jaurès, prononcée lors du Congrès socialiste international de 1900 à Paris résume assez bien le paysage politique français actuel.  Ne pouvant éradiquer la gauche en France, c’est de l’intérieur que celle-ci a été sapée,  pour n’être plus aujourd’hui qu’une version light de la droite.

Derrière un bipartisme de façade qui n’exprime plus guère qu’une lutte pour le pouvoir, les grandes orientations politiques à droite comme à gauche sont alignées sur celles de la Commission Européenne, à travers notamment des Grandes Orientations de Politique Economique (GOPE).

Aujourd’hui, à droite comme à gauche, il n’est plus personne qui oserait s’opposer frontalement à l’orthodoxie mondialiste, les uns l’appelant de leurs voeux, et les autres faisant semblant de s’y résigner de mauvaise grâce.

Histoire d’une trahison sociale

Pour comprendre comment on en est arrivé aujourd’hui à une gauche qui s’est presque totalement ralliée aux valeurs du libéralisme et de la mondialisation, reniant au passage ses principes les plus sacrés, il faut remonter à 1981.  Cette année-là, le 10 mai, François Miterrand remportait l’élection et accédait à la présidence de la République.  Cette victoire, sur fond de conflit ouvert entre le parti socialiste et les communistes, jusque-là majoritaires à gauche, marquait l’alternance après le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.

Depuis le 23 septembre 1977 pourtant, le divorce était consommé entre les socialistes et les communistes, mettant fin à l’union de la gauche.  Pour la première fois depuis 1969, les communistes avaient désigné leur propre candidat, Georges Marchais.  Celui-ci sera battu au premier tour ne remportant que 15,3% des suffrages exprimés.

Georges Marchais reprochait notamment à François Miterrand d’être trop proche de l’Élysée, et qu’il ne ferait, en somme, que prolonger la politique de droite.  Opposition à une politique de relance par la consommation, soutien au plan européen de démantèlement du tissu industriel, répression contre les travailleurs.  On sait que le personnage était volontiers gouailleur et virulent, mais force est de constater, 35 années plus tard qu’il avait raison.  François Miterrand aura été le fossoyeur de la gauche, amorçant un lent déclin qui pourrait bien résulter en la disparition pure et simple du parti socialiste, si celui-ci devait perdre l’élection présidentielle de 2017.  Et qui miserait un sou sur le candidat de la gauche ?

Candidat de gauche, candidat de droite : chou vert et vert chou

Le problème quand on en arrive à un tel degré de renoncement idéologique c’est qu’il devient vraiment difficile de garder toutes les apparences de la démocratie, et donc de l’idée d’une alternance, non pas d’un candidat, mais des orientations politiques.  Or vous l’aurez compris, il y a bon temps que le gouvernement socialiste n’a plus de socialiste que le nom.

La loi El Khomri réformant le code du travail, passée sans aucun débat démocratique en faisant appel par deux fois à l’article 49.3 de la constitution est sans nul doute la plus belle illustration de cette déliquescence.  Quand la trahison des valeurs ne permet plus même de faire voter les lois par sa propre majorité, le pouvoir en est réduit à les imposer par la force.

Notre programme politique ?  Eh bien, hum….  Oh, un terroriste !

Ainsi la gauche et la droite, réduites à nous vendre sous deux marques différentes la même orthodoxie libérale imposée par la Commission de Bruxelles ont choisi d’éluder de débat de la manière la plus cynique et la plus dangereuse qui soit : en clivant la société française qui n’avait vraiment, vraiment pas besoin de ça.

L’affaire du burkini n’en est que l’énième avatar, dans le droit fil de l’instrumentalisation de la violence terroriste.  Le but ?  Faire monter artificiellement le score du front national afin de réduire l’élection présidentielle à un dilemme cornélien, comme celui qui avait opposé Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen en 2002.  C’est en effet, d’après les sondages, la seule manière qui pourrait encore permettre à François Hollande d’être élu pour un second mandat.  A noter que ce calcul n’est pas uniquement celui de la gauche : à droite aussi, cette tentation existe comme en témoignent les coups de fil passés par Nicolas Sarkozy à des élus de droite afin qu’ils prennent des arrêtés anti-burkini.

Ni gauche ni droite – Macron ou l’ectoplasme de la pensée politique

Eh oui, quand il n’y a plus vraiment de différence entre les politiques de gauche et de droite, n’est-il pas temps d’opter pour une politique ni-ni ?  À peu près aussi loufoque qu’une scène des Monty Python et de leurs Chevaliers qui font Ni !, le programme de l’intéressé, qui se résume pour l’instant à des slogans creux, fait l’impasse sur le plus important.  Dans la mesure où les valeurs de gauche (progrès social) s’opposent aux valeurs de droite (libéralisme), il ne s’agit pas à proprement parler d’un ni-ni qui reviendrait à l’immobilisme, mais bien à une autre façon de dire que désormais vous n’avez plus le choix.  Ni !

On ne peut que s’étonner de la couverture médiatique absolument phénoménale dont l’intéressé a bénéficié.  Sachant qu’il n’a jamais été élu par personne, que c’est un mythomane notoire, et que, selon les termes de J. Attali, « il n’incarne que le vide », on est en droit de se demander ce qu’il peut bien faire à la une de tous les médias ?  Est-il permis de penser que cette omniprésence ne serait pas sans rapport avec le fait que les grands médias sont pratiquement tous aujourd’hui aux mains de grands groupes financiers et de capitaines d’industrie ?

On peut tuer un parti, pas une idée

Ce n’est pas à la mort de la gauche, ou plutôt des idées qu’elle devrait incarner que nous assistons, mais à la fin inéluctable d’un parti politique dont la déchéance fut marquée par les trahisons successives de ses dirigeants depuis trois décennies.

Les idéaux, eux, ne peuvent mourir, et tant qu’il se trouvera des hommes et des femmes pour croire en la justice sociale et au progrès pour tous, capables de se dresser contre la froide mainmise du capitalisme débridé, ils ne pourront gagner.

Parce que nous sommes les plus nombreux.  Et parce que nous sommes sûrs que la cause est juste.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles