La stratégie du oups

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Afghanistan, Irak, Libye et peut être la Syrie ensuite. À chaque fois le même scénario, qui laisse un pays ravagé en proie aux terroristes et aux bandits en tous genres. Des erreurs, vraiment ?
En politique, rien n’arrive par hasard. Chaque fois qu’un événement survient, on peut être certain qu’il avait été prévu pour se dérouler ainsi. (Franklin Delano Roosevelt)
Introduction
Dans cet article, je souhaite mettre en évidence un biais cognitif très largement répandu dans la population, qui croit, sans trop se poser de questions, que les suites des différentes guerres menées par les USA et l’OTAN ne se sont pas passées comme ils le souhaitaient, raison pour laquelle ces pays sont aujourd’hui en ruines, ingouvernables et servent de base arrière à tout ce que la planète compte comme terroristes.
Notez que c’est avant tout une manipulation, et elle est aussi simple qu’efficace. En effet, nous avons naturellement tendance à imputer plus volontiers les conséquences dramatiques d’une action d’autrui à une erreur plutôt qu’à penser que ces conséquences étaient planifiées.
Et par voie de conséquence, on aura tendance à exonérer les responsables de ces désastres de leur responsabilité écrasante par rapport aux millions de victimes de ces guerres.
Guerre d’Afghanistan (2001)
Radio Canada (30.01.2016 – Ottawa veut éviter les erreurs de l’Afghanistan dans sa lutte contre le groupe État islamique) : Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a affirmé que son gouvernement prenait son temps pour déterminer la nouvelle forme que prendra l’intervention canadienne en Irak afin de ne pas répéter les erreurs de la coalition dans la guerre en Afghanistan.
M. Sajjan a prôné une approche mûrement réfléchie, laissant entendre que l’absence d’une réflexion en amont avait signifié, entre autres choses, qu’une aide au développement bien intentionnée en Afghanistan avait finalement alimenté la corruption et l’instabilité (…)
Slate (02.08.2009) – Erreurs stratégiques en Afghanistan : (…) Quand je parle d’«erreur stratégique», je pense plutôt à une série d’erreurs cumulées. Inventaire succinct: nous avons perdu la «guerre contre la drogue». Nous avons trop compté sur les frappes aériennes pour déloger les insurgés, frappes qui ont blessé et effrayé les populations civiles. Nous avons cédé de nombreuses zones proches des frontières aux talibans et à leurs alliés pakistanais. Et, pour couronner le tout, nous n’avons pas su lutter contre la corruption, les abus de biens sociaux, et l’apathie touchant tous les ministères du gouvernement d’Hamid Karzaï (qui semble s’acheminer cahin-caha vers une réélection; la chose n’intéresse d’ailleurs pas grand monde)
Lors d’une audition par la Commission du Budget, le 24 avril 2009, Hillary Clinton déclarait :
But the problems we face now to some extent we have to take responsibility for, having contributed to it. We also have a history of kind of moving in and out of Pakistan. Let’s remember here… the people we are fighting today we funded them twenty years ago… and we did it because we were locked in a struggle with the Soviet Union.
They invaded Afghanistan… and we did not want to see them control Central Asia and we went to work… and it was President Reagan in partnership with Congress led by Democrats who said you know what it sounds like a pretty good idea… let’s deal with the ISI and the Pakistan military and let’s go recruit these mujahideen.
And great, let them come from Saudi Arabia and other countries, importing their Wahabi brand of Islam so that we can go beat the Soviet Union.
And guess what … they (Soviets) retreated … they lost billions of dollars and it led to the collapse of the Soviet Union.
So there is a very strong argument which is… it wasn’t a bad investment in terms of Soviet Union but let’s be careful with what we sow… because we will harvest. (Source : Dawn)
Invasion de l’Irak (2003)
RTL (25.10.2015) : Plus de douze ans après le début de l’invasion de l’Irak, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair a présenté « des excuses » pour cette intervention en 2003, durant laquelle il fut le principal allié de George W. Bush, dans une interview à la chaîne américaine CNN, qui doit être diffusée lundi 26 octobre. Face à Farid Zakaria, commentateur en faveur de l’invasion américaine à l’époque, avant de basculer du côté des opposants, Tony Blair reconnaît également une part de responsabilité dans la montée actuelle de l’organisation État islamique (EI) en Irak et en Syrie voisine. C’est la presse britannique qui a révélé ces déclarations avant leur diffusion.
« Je présente des excuses pour le fait que le renseignement était faux. Je présente également des excuses, au passage, pour certaines erreurs de planification et, certainement pour notre erreur dans la compréhension de ce qui arriverait une fois que nous aurions renversé le régime.
Le Figaro (11.07.2016) : Suite à la publication du rapport Chilcot faisant un bilan fondamentalement négatif de la guerre d’Irak déclenchée en 2003 par l’empire américain et ses alliés, Tony Blair et George Bush sont revenus sur la guerre d’Irak. Globalement, s’ils n’ont plus la fierté cocardière et pétaradante de 2003, ils font un bilan globalement positif de cette opération. On s’en serait douté: l’histoire se souviendra d’eux à cause de cette guerre. Avoueraient-ils leur immense erreur qu’ils pourraient difficilement garder raison. Ils veulent croire et faire croire que l’invasion de l’Irak demeure la page glorieuse d’une grande croisade démocratique.
Ceux qui s’opposaient à l’invasion de l’Irak n’admiraient pas le dictateur, mais ils craignaient qu’à un mal succède un autre encore plus grand : que le pays éclate et vire à la guerre civile, et que le bouleversement de la région affecte plus largement la planète.
Leur ligne de défense est la même: le monde se porte mieux sans Saddam Hussein. La formule est piégée: personne ne regrettera un tyran sanguinaire qui avait multiplié les boucheries. La plupart de ceux qui s’opposaient à l’invasion de l’Irak n’admiraient pas le dictateur, mais ils craignaient toutefois qu’à un mal succède un autre encore plus grand: par exemple, que le pays éclate et vire à la guerre civile, et que le bouleversement de la région affecte plus largement la planète. Manifestement, ils ne se trompaient pas. Le pouvoir irakien, certainement détestable, risquait, en tombant, de jeter le Moyen-Orient dans un terrible chaos (…)
Intervention militaire en Libye
Le figaro (11.04.2016) – Le fiasco en Libye, ma «pire erreur» confesse Obama : Dans un entretien à la chaîne Fox News, le président américain a jugé que la pire erreur de sa présidence avait «probablement» été le manque de suivi après l’intervention militaire en Libye en 2011. L’opération avait conduit à la chute du régime de Mouammar Kadhafi.
Barack Obama, qui quitte la Maison-Blanche dans quelques mois, entame son mea culpa. «Ma pire erreur aura probablement été de n’avoir pas mis en place un plan pour “l’après” au lendemain de ce qui fut, je pense, une intervention justifiée en Libye», a confié le président américain dans un rare entretien accordé à Fox News, chaîne qui défend ouvertement le parti républicain et ne se prive pas, d’ordinaire, de le critiquer.
À plusieurs reprises, le président américain a déjà reconnu que les États-Unis et leurs alliés auraient pu faire plus après l’intervention militaire en Libye de 2011 qui a entraîné la destitution de Mouammar Kadhafi et la fin de sa dictature. Devant l’assemblée générale de l’ONU en septembre, il avait reconnu que Washington avait aussi une part de responsabilité. «La Libye est plongée dans le chaos», a-t-il admis encore mi-mars dans les colonnes du magazine The Atlantic.
Des erreurs, vraiment ?
C’est une erreur de penser que des États, et particulièrement celui qui vise à l’hégémonie mondiale s’embarrasse de sentiments. C’est de l’anthropomorphisme du plus mauvais aloi. Leur géopolitique n’est basée que sur la conquête ou le maintien du contrôle sur les ressources primaires. Pétrole, minerais, pierres précieuses.
Du colonialisme au néocolonialisme
Le colonialisme visait plus ou moins les mêmes intérêts que le néocolonialisme, mais au prétexte d’apporter la civilisation aux peuples colonisés. Cet alibi forçait dont plus ou moins les États (dont étaient alors la France, la Belgique et l’Angleterre) à développer les pays conquis notamment par des travaux d’infrastructure : routes, ports, administration coloniale, etc.
Le néocolonialisme est nettement plus direct, et destructeur. On importe la violence dans le pays concerné, et puis on l’envahit au titre de le « pacifier » ou de « répondre à une menace ». Comme si l’Irak avait quelque chose à voir avec les attentats du 11 septembre.
Ce qu’on dit, et ce qu’on fait
L’administration américaine et leurs soutiens n’ont à la bouche que des mots de paix, voulant la stabilité et la démocratie partout dans le monde, mais dans les faits, s’attachent précisément à détruire puis à plonger dans le chaos des pays souverains. Pourquoi ?
Les néocolonialistes font leurs courses
Imaginez que par extraordinaire, les Américains se mettraient en tête d’appliquer leur propre doctrine, ou plus précisément, ce qu’ils en disent. Ils auraient été en Irak, auraient déposé Saddam Hussein, puis auraient mis en place un gouvernement démocrate composé de gens non corrompus, idéalistes et déterminés à reconstruire le pays.
Inévitablement, à un certain point, n’importe quel gouvernement de ce type aurait besoin, pour la reconstruction, de reprendre le contrôle de ses matières premières. Et c’est précisément ce que les néo-colonialistes veulent éviter. Ils vont au supermarché, mettent tout ce qu’ils peuvent dans le caddie, décrètent qu’il y a des terroristes et massacrent les employés. Après forcément, le passage en caisse est moins douloureux pour le porte-monnaie.
Ainsi, ce qu’on vous présente depuis des décennies comme des erreurs à répétition faisait partie des objectifs. Rendre les pays ingouvernables, dirigés par des politiciens corrompus et à la botte pour pouvoir piller les ressources à vil prix. Et si cela devient un havre pour les terroristes, comme en Libye ? Parfait, ils serviront de prétexte lors de la guerre menée contre le régime syrien.