L’Amérique, les tueries de masse et le néant

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Il n’est pas difficile de nos jours d’imaginer que l’animosité politique actuelle finira par déboucher sur quelque chose comme une nouvelle guerre civile.

[D]ans une nation affligée par des engouements de masse, des tocades, des passions et les dernières lubies-en-date-qui-font-fureur, le meurtre de masse est un jackpot pour nihilistes – ce qui soulève la question : pourquoi les USA en produisent-il autant ? Réponse : c’est l’exact résultat normal que vous obtenez forcément dans une culture où tout se vaut et où rien n’a d’importance. Videz notre séjour sur terre de tout sens et but, effacez autant de barrières que possible dans les coutumes et les comportements, et constatez ce qui se passe, en particulier parmi des jeunes hommes éduqués par des jeux de massacre vidéo.

Pour beaucoup, il n’y a plus de structures dans leur vie, plus de communautés, plus de pères, plus de mentors, plus d’initiation à la responsabilité personnelle, plus de principes d’organisation quotidienne, plus d’instruction dans des métiers utiles, plus d’activités productives, plus de possibilités d’amour et d’affection, plus de porte de sortie. Cet abîme d’absence de relations sociales est aggravé par un cadre physique de vie quotidienne qui ne repose sur rien : juste le terrain vague de parcs de stationnement à perte de vue que l’Amérique est devenue. Le mythe irrésistible du Nouveau Monde en tant que table rase est tel que nous nous sommes sentis obligés de la reconstituer, et d’en effacer même la nature, y compris la nature humaine, en particulier tout ce qui peut être noble et sacré dans la nature humaine.

Le vieux truisme reste : quand plus rien n’est sacré, tout est profane, et qu’est-ce qu’il y a de plus profane que massacrer vos semblables en masse sans raison valable ? Juste parce que vous en aviez envie à un moment donné ? Une autre fois, vous pourriez avoir envie de vous faire des tacos, ou d’aller faire un tour sur les sites pornos gratuits, ou encore de sniffer de l’oxycontin écrasé. Un message haut et clair de la culture du « tout se vaut » et « rien n’a d’importance » est : si ça vous fait plaisir, faites-le ! Et si vous sentez mal, faites quelque chose pour vous sentir mieux.

Ce qui est étonnant, c’est que notre mode de vie actuel n’ait pas poussé encore plus de gens vers la folie meurtrière, compte tenu du nombre de personnes qui se sentent mal dans ce paysage grotesque de voitures omniprésentes, de vies sans but et d’aspirations perdues – à moins que ces escarmouches sanglantes ne soient le prélude à une épidémie plus générale de chaos sanguinaire. Il n’est pas difficile de nos jours d’imaginer que l’animosité politique actuelle finira par déboucher sur quelque chose comme une nouvelle guerre civile. Si cela finit par se produire, ce sera l’événement politique le plus psychologiquement désordonné de l’histoire moderne.

Le Walmart est l’endroit parfait pour ces rituels de furie nihiliste. L’immensité de ces lieux fait que les « consommateurs » à l’intérieur se sentent petits, et leur rappelle à chaque pas qu’ils sont à la merci de forces colossales pour leurs pitoyables besoins quotidiens, leurs fast foods mico-ondables, leurs couches jetables, leurs sprays anti-cafards. Le tireur n’est qu’un concentré momentané de tout le reste de ce qui broie toute dignité et tout sens dans la vie américaine. Le mauvais karma de cette dynamique oblige à un défoulement périodique. Inscrivez-y un jeune homme esclave de ses propres hormones et d’une conception des relations humaines de pouvoir tout droit sortie d’une bande dessinée.

Je ne suis pas persuadé qu’une interdiction des vente d’armes à feu fera quoi que ce soit pour prévenir le retour périodique de ces épisodes mortels, parce qu’il y a déjà trop d’armes à feu en circulation aux États-Unis. Mais il est probablement nécessaire de marquer les esprits, par exemple par une interdiction des armes de type militaire, et je m’attends à ce que cela se produise. Mais le processus politique de reconnaissance de ce qui afflige vraiment cette société est enlisé dans la mauvaise foi, l’idiotie et la névrose. Et les acteurs politiques signalent clairement leur incompétence, ce qui ne fait qu’ajouter à la démoralisation générale de tous les autres.

Nous attendons de leur part une restructuration de la vie américaine en véritables communautés de personnes travaillant ensemble à des choses importantes, et cela exigera la mise à bas de tout ce qui a travaillé si dur pour détruire cela, à savoir la tyrannie des géants, les Walmarts qui tuent les villes, le monstre suffocant du gouvernement, les manipulateurs de réalité des médias, les banques « too-big-to-fail ». Par eux-mêmes, les gens ne se libéreront pas de l’emprise de ces monstres et, honnêtement, ils n’ont même pas la volonté d’imaginer la vie sans tout cela. Mais l’histoire le fera pour eux, d’abord sous la forme d’un crash financier qui bouleversera le sens de ce qu’est « l’argent » et de tous les instruments calibrés sur lui ; et ensuite avec un effondrement économique de l’approvisionnement, et des activités que nous ne pouvons plus nous permettre de mener.

Il se peut que les gens doivent être traînés de force dans cette nouvelle disposition des choses, simplement parce qu’il est difficile de lâcher ce à quoi on est habitué. Quelque chose de ce type semble être en cours dans le monde des affaires et sur les marchés mondiaux. Dans un premier temps, cela ne fera qu’ajouter à la confusion. La clarté est un effet retard.

James Howard Kunstler est écrivain, critique social et conférencier. Son travail a été publié dans Rolling Stone, le New York Times et The Atlantic Monthly. Il est enregistré au Parti démocrate. 

 

Traduction Entelekheia

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