Le nouveau D-Day ? Donald Trump ouvre un deuxième front au Royaume-Uni

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La bataille du Brexit n’est même pas encore gagnée pour les Britanniques partisans du ‘Leave’, qu’une autre, dont l’annonce a été faite à l’occasion des commémoration du D-Day, se profile déjà : sous couvert d’un accord de libre-échange post-Brexit, Donald Trump suggère la privatisation de l’un des fleurons de l’État britannique, son service national de santé (homologue de notre Sécurité sociale). Or, pour la vaste majorité des citoyens du Royaume-Uni, il s’agit là d’une « no-go zone » …

Par George Galloway
Paru sur RT sous le titre « The new D-Day? Donald Trump brings a delayed Second Front with UK visit »

[L]e 6 juin 1944 était le D-Day, l’ouverture du Deuxième front destiné à libérer la partie occidentale de l’Europe de leurs longues années d’occupation nazie. Cela a été une traversée de la Manche héroïque et âprement combattue, avec un débarquement sur les plages de Normandie et beaucoup de sang allié versé pour la tête de pont, du sang britannique, du Commonwealth et américain.

Contrairement au mythe hollywoodien sur les 1213 navires de guerre impliqués dans le débarquement, 892 étaient britanniques ou canadiens pour 200 américains. Sur les 4126 péniches de débarquement, 3261 étaient britanniques. Les deux tiers des 12 000 aéronefs actifs ce jour-là étaient britanniques ou canadiens, tout comme les deux tiers des soldats qui ont débarqué sur les plages. ‘Il faut sauver le soldat Ryan’ est une fiction.

Le mythe selon lequel le D-Day a été lancé pour réduire la pression sur le front de l’Est, où pendant trois longues années, des soldats de l’Armée rouge et des civils soviétiques étaient morts par millions, est également fictif. En réalité, le D-Day a finalement été lancé – avec trois ans de retard et après des fausses promesses répétées d’ouverture d’un front occidental qui ne se concrétisaient jamais – précisément à cause du rythme de l’avancée soviétique sur Berlin et du danger d’un effondrement précoce de la bête fasciste, avant même que les armées occidentales aient pu seulement reprendre pied en Europe1.

Le refus occidental de l’ouverture immédiate d’un Deuxième front, en 1942 et en 1943, avait d’abord été motivé par la certitude et, dans de nombreux milieux, par l’espoir d’une victoire du nazisme sur l’URSS et de sa destruction. Ce même espoir avait motivé nombre des pacifistes qui n’avaient pas voulu affronter Hitler à partir du milieu des années 1930, et priaient pour qu’en retour, il tourne sa monstrueuse machine de guerre vers l’Est.

Après Stalingrad et la bataille de Koursk, puis le retrait amer des forces fascistes vers l’Allemagne, cet espoir s’est transformé en peur que l’Armée rouge ne remporte une victoire complète presque à elle toute seule.

Cet état d’esprit est toujours présent, comme en témoigne une pièce commémorant ce 75ème anniversaire du débarquement, qui omet complètement le drapeau de l’URSS – le membre le plus vital de la grande alliance du temps de guerre, sans lequel le Débarquement n’aurait jamais pu avoir lieu, et la guerre n’aurait pas pu être gagnée !

Mais les commémorations annuelles sont particulièrement importantes cette année, pas seulement parce qu’il s’agit du 75ème anniversaire du Débarquement.

C’est le D-Day pour une autre raison – le Jour du Donald.

Au cours des préparatifs du Débarquement de Normandie, un certain ressentiment se manifestait au sujet de l’accumulation de forces américaines en Angleterre : « trop payées, trop sexuées, trop présentes ».

Peu d’Américains pourraient mieux illustrer ces trois caractéristiques que Donald J Trump, bien que ses problèmes de cheville l’auraient sans aucun doute écarté des combats de 1944. Le milliardaire est ici cette semaine et un certain ressentiment à son égard était garanti.

La grande majorité des protestataires n’auraient jamais porté de pancarte contre le crooner, son suave prédécesseur Barack Obama, bien qu’il ait tué beaucoup plus d’innocents que Trump ne l’a fait jusqu’ici. Ses excellentes manières à table avaient fait de lui un invité des plus cools, et le bienvenu parmi les gens à paillettes.

Peu importe qu’Obama ait déporté plus de personnes des États-Unis que Trump, que Bill Clinton ait incarcéré plus de Noirs en Amérique que tout autre président avant lui ou depuis, ou que Mme Clinton ait joué un rôle de premier plan dans la transformation de la Libye en un pays où des Noirs sont vendus sur des marchés aux esclaves. Le raciste, c’est Trump.

Vulgaire et occasionnellement rustre, le Donald n’a pas fait l’imbécile cette fois, mais il a quand même suscité des réactions épidermiques parmi les foules. Son pantalon n’est pas tombé, il a nié avoir insulté notre princesse américaine (même si c’est filmé) et il n’a pas, comme avant, marché trois pas devant la reine avec une ignorance totale du protocole. Mais toutes les bases du protocole gouvernemental avaient de toutes façons déjà été reléguées au magasin des accessoires, avec son soutien éhonté à Boris Johnson comme candidat préféré pour le poste de Premier ministre britannique. Il a également rencontré Nigel Farage, apparemment au mépris des souhaits du gouvernement britannique. De façon hilarante, il a dit n’avoir jamais rencontré le rival de Boris au poste de Premier ministre, Michael Gove – qui, pour sa part, se souvient distinctement d’avoir interviewé le président américain pendant trois heures pour le Times. Il faut dire que le patron de Gove de l’époque, le magnat de la presse Rupert Murdoch, était également présent. On se souvient toujours du ventriloque, rarement du mannequin qu’il anime.

Et méfions-nous des Grecs qui portent des cadeaux, comme on dit. Des Américains futés de l’entourage présidentiel ont apporté avec eux, dans leurs cartables, la base d’un accord de libre-échange – un « accord phénoménal », a déclaré le président Trump, entre la Grande-Bretagne et les États-Unis après le Brexit, les rendant trop payés trop sexués trop présents par rapport à nos services publics, en particulier notre très rentable service de santé d’État, le NHS. Bien sûr, « le NHS est sur la table » dans ces négociations, a déclaré le président alors que notre Premier ministre, Theresa May, se courbait jusqu’à terre.

La braderie du NHS irait trop loin pour la grande majorité des Britanniques de toutes tendances politiques et ouvrirait un nouveau chapitre – le dernier – de la « relation spéciale » des USA et du Royaume-Uni2.  La plupart des Britanniques défendront notre petite île contre ce genre d’invasion, sur les plages, sur les terrains de débarquement, dans les rues, dans les collines, dans les champs et maison par maison3. Ils n’abandonneront jamais ce qu’ils ont gagné à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En fait, le chef travailliste Jeremy Corbyn est probablement en train de dépoussiérer sa rhétorique de guerre en ce moment même…

>> Traduction et notes Entelekheia

  1. Pour des détails sur les décisions des chefs occidentaux à propos de l’ouverture d’un deuxième front ostensiblement destiné à « soulager l’Armée rouge », leurs atermoiements, leurs fausses promesses à Staline et les raisons de sa concrétisation finale, voir l’excellent Mythe de la bonne guerre de l’historien Jacques R. Pauwels.
  2. Pour des raisons historiques et idéologiques, le Royaume-Uni entretient une relation privilégiée avec les USA, dite « special relationship ».
  3. Paraphrase du célèbre discours de Churchill de juin 1940, « We Shall Fight on the Beaches » (« Nous combattrons sur les plages »)
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George Galloway

George Galloway a été membre du Parlement britannique pendant presque trente ans. Il présente des émissions de radio et de télévision (y compris sur RT). C’est un célèbre réalisateur, écrivain et tribun.