Les Religions & les Groupes

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Depuis la nuit des temps, l’homme, confronté à l’amer constat de sa propre impuissance face à son destin ultime (la mort), conscient de n’être qu’un grain de sable dans un univers aux dimensions stupéfiantes, a cherché des réponses logiquement mystiques à ce qu’il ne pouvait expliquer autrement.

Origine des religions

A cela s’ajoute un comportement inné, que l’on peut observer chez bon nombre d’espèces primitives : le comportement grégaire, c’est à dire la vie en groupe ou en communauté, sans nécessairement avoir recours à une organisation sociale.

Hélas, du fait d’un autre instinct, peut-être plus fortement ancré encore, qui est la compétition (pour la nourriture, pour le territoire, pour la reproduction, ou pour survivre…), les religions sont devenues un instrument de pouvoir sur les hommes, ou plus exactement, sur les groupes.  On dirait sur les masses, aujourd’hui.

Les religions, instrument de pouvoir sur les masses

Les trois facteurs exposés plus haut : recherche mystique, comportement grégaire et compétition sont les trois ingrédients d’un cocktail aussi toxique qu’il est addictif.

En effet, pour un candidat dictateur, il est assez difficile de convaincre chaque individu séparément qu’il est bien celui qui est le plus qualifié pour diriger le groupe… Par contre, dès que le groupe véhicule un certain nombre de valeurs, celles-ci sont partagées par l’ensemble des membres de ce groupe.  Le candidat dictateur pourra maintenant avoir l’oreille de tout le groupe, pour peu qu’il se présente comme étant le mieux à même de défendre les valeurs prônées par celui-ci.

Ceci est parfaitement illustré par le premier verset du Prologue de l’Evangile selont Saint-Jean (Augustin Crampon, 1894) :

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.

Le Verbe est ici non pas la parole, mais la valeur véhiculée, l’expression même du pouvoir.

Mais au fait, pourquoi faudrait-il un chef ?

En fait, cela aussi nous l’avons hérité de nos ancêtres à quatre pattes.  Dans les meutes, il y a toujours un mâle alpha.  C’est le dominant du groupe, qui bâfre avant tout le monde, et féconde toutes les femelles.  C’est aussi le premier sur le pont en cas de pépin. Il n’hésitera pas à se faire tuer pour protéger le groupe  (*).

(*) Ici s’arrête la comparaison avec nos propres dirigeants qui, pour des raisons pratiques, dirons-nous, ont sous-traité ce genre de besognes peu gratifiantes et quelquefois hasardeuses depuis belle lurette.

Notez que dans la nature, cela a du sens : dans la plupart des cas cela assure la cohésion du groupe autour du dominant, maximisant ainsi les chances de tous les membres du groupe.

Oui, mais nous on est civilisés : on est plus que des animaux, tout de même !

En êtes-vous si sûr ?  Avez-vous oublié :

  • Le massacre des Amérindiens d’abord par les espagnols, puis par les américains ?
  • Le génocide des Arméniens par les Turcs ?
  • le génocide des Juifs, des Tziganes, des handicapés mentaux, des opposants politiques par les Nazis ?
  • Le génocide du Rwanda ?
  • Les massacres perpétrés par les Serbes, et aussi par les Croates, en Yougoslavie ?

Combien de ces massacres étaient motivés par la religion, la race ou l’ethnie (d’autres bases de groupes) ?  Tous !  Et si vous lisez attentivement l’histoire, les massacres, les spoliations et les invasions sont toujours justifiées par l’appartenance à un groupe versus les autres (qui en font les frais parce qu’ils ne font pas partie de ce groupe).


Remarque : dans la nature, les animaux ne tuent que pour survivre.  Manger ou… ne pas être mangé.  Jamais pour des principes idéologiques.  Du coup, je me demande qui est le plus moralement mature de l’homme ou de l’animal.

Appartenance au groupe

Le groupe est forcément élitiste.  C’est d’abord mathématique :

Ainsi on peut prouver que la surface du groupe (qui contient tout de même une infinité de points) est toujours plus petit que (son contenant) le reste de la surface (qui contient pourtant aussi une infinité de points).  On peut l’exprimer ainsi : quelque soit la surface du groupe, vous pourrez toujours prendre une surface plus grande à l’extérieur, tellement plus grande que la surface intérieure devient négligeable.

C’est également un des aspects véhiculés par les groupes sociaux : que ce soient les religions, les organisations ou les partis politiques.  Les membres font partie d’une élite, dont le reste du monde est exclue.

Psychologie des groupes

Les groupes revêtent, au travers d’un lien plus ou moins distendu (l’idéologie, mais aussi les rites, ou toute autre forme d’influence/communication) certains des caractères que Le Bon observait dans son ouvrage traitant de la Psychologie des foules

  • Le groupe transcende l’individu, qui est réduit à n’être qu’une partie de celui-ci, et non plus un tout, une individualité.
  • Puisque le groupe transcende l’individu, la volonté du groupe (l’idéologie) supplante la volonté et l’initiative personnelle (elle abolit également les jugements de valeurs, et donc la responsabilité individuelle)
  • Faible aptitude au raisonnement (individuel), aptitude à l’action (motivée par l’idéologie)

On se rend compte qu’on a là tous les ingrédients du contrôle des masses, de la domination.

Les religions, instruments du pouvoir

Dans la nature, les groupes appelés colonies sont une des modalités adoptées par certains insectes hyménoptères notamment, pour pouvoir prospérer dans un environnement hostile ou la compétition fait rage.  Ces colonies illustrent de manière parfaite ce qui précède :

  • Les individus d’une colonie n’existent qu’en tant que partie de celle-ci.  Tous les membres de la colonie sont remplaçables, y compris les reines. Ce n’est pas de l’abnégation, qui présupposerait la capacité à l’adhésion (le choix).
  • Les individus ne travaillent qu’au bien être et à la prospérité de la colonie
  • Il n’existe pas de compétition au sein de la colonie, parce qu’il n’y a pas de compétiteurs.
  • Les individus d’une colonie sont identifiés par des marqueurs chimiques (olfactifs) appelés phéromones.  Tout individu/intrus qui ne porterait pas ces marqueurs spécifiques sera pourchassé et détruit impitoyablement.

Et cela fonctionne précisément parce que le principe est appliqué jusqu’au bout, puisqu’il n’y a pas de libre arbitre.  Les fourmis ou les abeilles sont altruistes, en tout cas dans les limites de la colonie.

Mais dans les sociétés humaines, malheureusement, ceci ne fonctionne pas, et on se retrouve fréquemment avec les pires caractéristiques de chacun des deux modes de fonctionnement (Individu vs Colonie).

Comment

Par une simple astuce qui revient à créer un sous-groupe dans le groupe.  Ce groupe devient l’élite… de l’élite.  Ou, pour le dire autrement, vous trouverez toujours, au sein d’un groupe un membre déterminé à s’accaparer le pouvoir (et les avantages qui en découlent).  C’est le libre arbitre, guidé par l’instinct primitif de la compétition.

De tout temps, les dirigeants, avides de domination, ont su tirer parti des religions, et les utiliser comme instrument pour diriger des populations, qui, par la magie des groupes, se comportaient soudainement comme des fourmis dociles.

A cet égard, la religion Catholique Romaine, qui a su si bien concentrer le pouvoir par la hiérarchisation, est probablement la forme la plus aboutie d’instrument de pouvoir.  Ainsi, sous une forme de symbiose, ou plus exactement de commensalisme (la religion n’ayant droit qu’aux rogatons du pouvoir), elle a toujours su se mettre du côté des dirigeants, les aidant à canaliser les individualités en échange d’avantages divers pour elle-même.

Mais les autres religions ne sont pas en reste, même si elles n’ont pas su atteindre un tel degré d’organisation, et leur finalité commune reste bel et bien la domination.  Je ne parle pas ici de l’idéologie sous-jacente à telle ou telle religion, qui est le ciment (et le critère d’adhésion) à ces idéaux, mais bien des modalités pratiques, de la manière dont les textes et le culte sont utilisés pour abolir le jugement, et finalement diriger les adeptes.

L’opium du peuple

La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple (…) L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme continue à porter des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette ces chaînes et cueille les fleurs vivantes. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même. » (Karl Marx : Introduction à la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel)


On ne saurait mieux dire, je pense.  Mais hélas je me souviens trop de l’aspect addictif de cet opium, qui amène l’assuétude, la sujétion, et donc la domination.  La cause des religions se trouve profondément ancrée dans la nature humaine, et je ne suis pas de ceux qui croient que ceci pourrait changer.

Conclusion

On pourrait dire, sans trop de risque de se tromper, que tous les gouvernements de la planète, et plus généralement tous les individus ou groupes d’individus souhaitant contrôler des masses ont dû, à un moment ou à un autre, intégrer ces notions comme étant les briques avec lesquelles ils ont construit leur domination.

Par ailleurs, ces techniques sont de plus en plus utilisées à des fins privées, comme par exemple dans le domaine de la publicité, du marketing, de la télévision, etc.

Ce nouveaux acteurs sur le terrain peuvent à leur tour devenir des instruments de pouvoir au service… du pouvoir.  A moins que ce ne soit déjà le cas, dans les faits ?  A vous de juger.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles