Mensonges médiatiques contre France Insoumise (III) – « dictature et crise humanitaire au Venezuela »

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Ces derniers mois en France, on observe au hasard des plateaux de télévision et de radio une situation plutôt comique : tout militant insoumis est sommé de rendre des comptes sur le Venezuela. Or s’il y a quelqu’un qui doit rendre des comptes, c’est bien le journaliste. D’abord, pour avoir occulté les 90 % de la population qui n’ont pas participé aux violences et les ont rejetées, faisant passer la minorité insurgée pour « la population »; Ensuite, pour avoir inversé l’ordre du montage. L’agression des commandos de la droite et la réponse des forces de l’ordre, montées à l’envers, ont créé l’image d’un « régime » réprimant des manifestants. Il y a plus grave : les médias ont imputé automatiquement, jour après jour, au « régime » les morts causés par l’extrême droite, ce qui a alimenté l’énergie des tueurs. Ceux-ci savaient parfaitement que chaque mort imputé à Maduro renforcerait le discours en faveur d’une intervention. Mais qui, de Médiapart au Soir, de France Inter au Monde, qui, dans la vaste zone grise (Primo Levi) des grands groupes privés médiatiques, à l’abri de son écran d’ordinateur ou d’un studio ouaté à dix mille kilomètres de Caracas, acceptera de reconnaitre qu’il a encouragé des assassins ?

Les insoumis de France n’ont aucun compte à rendre mais nous sommes tous en droit d’en demander.

Avec huit millions d’électeurs qui ont élu une assemblée constituante le 30 juillet 2017, malgré les violences d’extrême droite et la campagne médiatique, la démocratie vénézuélienne déjà riche en pouvoir communal, médias associatifs, mouvements sociaux, est une démocratie vivante. Elle n’a jamais connu une telle densité d’élections : depuis juillet on a compté deux consultations internes organisés par les partis de droite, l’élection nationale de la Constituante, et ce 15 octobre aura lieu celle des gouverneurs. L’ensemble de l’échiquier politique y participera.

Autre point non négligeable : alors que des gouvernements néo-libéraux – comme ceux de la France ou du Mexique – continuent à détruire la protection sociale de la population, la guerre économique subie par le Venezuela ne lui a pas fait renoncer au maintien et au développement de ses investissements sociaux en faveur des secteurs populaires. L’ONU vient de le confirmer par la voix de la Secrétaire Exécutive de la Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) Alicia Bárcena. « Le dernière décennie a été très prometteuse pour le Venezuela en matière sociale. Nous, nous enregistrons une réduction très importante de la pauvreté au Venezuela, sans précédent et aussi de l’amélioration de l’égalité, » a-t-elle déclaré le 22 septembre au siège des Nations Unies, à New York. Elle a souligné que malgré la situation économique mondiale, au Venezuela, les programmes sociaux n’ont pas été réduits, en particulier les missions qui ont des objectifs très concrets : « Dans le domaine social, nous pensons que les choses s’améliorent, dans le domaine économique, il faut mettre plus insister pour pouvoir d’une certaine façon restabiliser les politiques macro-économiques. » Pour Bárcena, les missions sociales du Venezuela sont importantes pour obtenir la réduction de la pauvreté réelle et l’insertion dans le marché du travail ou dans l’éducation : « Ces expériences sont très importantes et ne doivent pas être perdues ». La politique d’assistance sociale stimulée par le Gouvernement Bolivarien a permis de réduire l’indice de pauvreté extrême qui était de 10,8% en 1999 à 4,4% actuellement. Enfin Bárcena a condamné les sanctions unilatérales imposées par les Etats-Unis au Venezuela : « Nous espérons que ces problèmes pourront être résolus. Chaque pays doit résoudre ses problèmes intérieurs par ses propres moyens et l’interférence étrangère est contre-productive ».

Dans son discours à l’ONU, le président Trump soutient, comme les journalistes, qu’il y a une dictature au Venezuela. Or ces 4 dernières années, et depuis que Nicolas Maduro a accédé au pouvoir, il y a eu pas moins de 4 processus électoraux: 1) élections présidentielles en avril 2013, avec un taux de participation de 79,7%; 2) élections municipales en décembre 2013, avec un taux de participation de 58,36%; 3) des élections législatives auxquelles ont participé 74,17% des électeurs inscrits; et enfin 4) le tout récent processus constituant qui a vu une participation de 41,3% malgré les violences et un appel à l’abstention de la part de secteurs radicaux de l’opposition.

Peut-on qualifier de dictature un système politique dans lequel non seulement on a pu réaliser 4 élections en 4 ans, soit en moyenne 1 par an, mais dans lequel également on reconnaît les victoires mais aussi les défaites? En décembre 2015 le président Maduro n’a-t-il pas reconnu la victoire de l’opposition aux législatives, ou en décembre 2013 la conquête de 81 municipalités -soit 39,34% de l’ensemble des communes- par cette même opposition?

S’il y avait réellement un régime dictatorial au Venezuela, comment comprendre alors que les médias privés n’ont cessé d’augmenter en nombre, font 85 % d’audience et sont pour la plupart opposés au gouvernement ? Et que les 17 partis d’opposition aient inscrits 77 candidats aux élections du 15 octobre prochain pour les postes de gouverneurs dans les 23 états du pays? Ce qui représente 77% des candidats inscrits alors que le Pôle patriotique (partis qui appuient le gouvernement, dont le PSUV) n’en a inscrit que 23%!

Doit-on vraiment parler de dictature dans un pays qui a non seulement réalisé 21 élections depuis 1999, mais qui les a réalisées avec une transparence validée par des organismes internationaux tels que le prestigieux Centre Carter ? Même les plus féroces opposants au soi-disant “régime dictatorial” de Maduro ont légitimé ces processus et leur transparence en participant et emportant des victoires en 2013 et 2015, et en s’inscrivant aux élections à venir; n’est-ce pas au final un signal clair qu’ils donnent sur la fiabilité de la démocratie vénézuélienne, de son système et de son pouvoir électoral?

Mais encore : peut-on appeler dictature un pays où la différence entre le nombre de personnes en âge de voter et le nombre de personnes effectivement inscrites sur les listes électorales est seulement de 3% ? A ce compte-là on peut dire que le Venezuela vivait sous le joug d’une féroce dictature avant 1999, lorsque cette même différence était de plus de 30%! Précisons que sous la prétendue dictature de Maduro le taux moyen de participation aux élections est d’un peu plus de 70%…

On voit bien d’évidence que le terme “dictature” des journalistes n’est pas adéquat pour un pays qui garantit le droit de vote et n’a cessé d’améliorer les conditions de participation des citoyens. En comparaison on est en droit de se demander ce qu’il en est du système électoral étatsunien: quel taux de participation aux élections? Quelle différence entre personnes en âge de voter et personnes effectivement inscrites sur les listes électorales? Les conditions de la transparence du processus électoral et du secret du vote sont-elles bien réunies?

Et quelle profonde contradiction, inexplicable pour tout théoricien ou philosophe politique, que de dire qu’une Assemblée Constituante, expression du peuple souverain originel, n’est pas démocratique! Dans toute définition classique -et toujours actuelle- de la démocratie, l’Assemblée Constituante est au contraire l’espace, le lieu et l’instrument de l’expression du peuple souverain. Aurait-on une autre définition de la démocratie aux Etats-Unis?

Pourquoi donc Donald Trump s’aventure-t-il à qualifier l’Assemblée Nationale Constituante d’illégitime? Elle procède pourtant du dispositif prévu par l’article 348 de la Constitution actuellement en vigueur, par ailleurs dûment débattue et approuvée par referendum populaire en 1999: “La convocation d’une Assemblée Nationale Constituante pourra être prise par le Président ou la Présidente de la République en Conseil des Ministres; par l’Assemblée Nationale à la majorité des 2/3; par les Conseils Municipaux réunis en assemblée générale à la majorité des deux tiers; ou par 15% des électrices et électeurs dûment inscrits sur les listes électorales”

Pourquoi dire que “le Président Maduro a créé l’Assemblée Nationale Constituante”! C’est le peuple vénézuélien qui l’a créée le 15 décembre 1999 en débattant largement puis en l’approuvant par referendum. Ce sont 8.089.320 vénézuéliens qui, le 30 juillet 2017, ont élus leurs députés constituants. Ces citoyens représentent 41,3% des inscrits sur les listes électorales, et ce malgré l’appel à l’abstention de secteurs dits “démocratiques” de l’opposition, et les obstacles physiques (bureaux de vote attaqués, brûlés, barricades) imposés par ces mêmes secteurs pour empêcher le libre exercice du droit de vote universel et secret. Si l’on ajoute à ces 41,3% la traditionnelle abstention de 30% en moyenne constatée lors des processus électoraux antérieurs, il ne reste que 28,7% qui se seraient abstenus pour répondre à l’appel de l’opposition!

Donald Trump affirme que l’Assemblée Nationale Constituante usurpe les pouvoirs de l’Assemblée Nationale législative aux mains de l’opposition. Cette affirmation se heurte à 2 objections majeures. D’abord la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela en vigueur précise ceci dans son article 349: “… Les pouvoirs constitués ne pourront en aucun cas entraver les décisions de l’Assemblée Nationale Constituante”; celle-ci compte en effet avec des pouvoirs qui sont hiérarchiquement au-dessus de ceux des pouvoirs constitués, y compris le pouvoir législatif. Ensuite cette affirmation ignore le récent décret pris par l’Assemblée Nationale Constituante qui régule les relations et les domaines d’intervention avec les 5 autres pouvoirs -que l’ANC reconnaît et entérine donc-. Qui sont les 5 pouvoirs prévus par la Constitution de 1999: exécutif, législatif, judiciaire, électoral et moral]

Donald Trump affirme encore que le prétendu dictateur Maduro “emprisonne les dirigeants de l’opposition élus démocratiquement”. Faut-il considérer comme « prisonniers politiques » les assassins du parti d’extrême droite grec Aube Dorée, parce qu’ils sont emprisonnés ? Dans un État de Droit, qu’il s’appelle France ou Venezuela, être de droite ne signifie pas être au-dessus des lois ni pouvoir commettre impunément des délits tels qu’assassinats, attentats à la bombe ou corruption. Ce n’est pas pour leurs opinions politiques mais pour ce type de délits que des personnes ont été jugées et emprisonnées.

Rappelons que les leaders actuels de la droite n’ont jamais respecté les institutions démocratiques : ce sont les mêmes qui en avril 2002 avaient mené un coup d’État sanglant contre le président Chavez, avec l’aide du MEDEF local et de militaires formés à la School of Americas. Ce sont les mêmes qui ont organisé les violences de 2013 à 2016. Notons l’identité d’un de leurs mentors : Alvaro Uribe, un des plus grands criminels contre l’humanité de l’Amérique Latine, ex-président d’un pays gouverné par le paramilitarisme et les cartels de la drogue, qui possède les plus grandes fosses communes du monde, qui compte 9500 prisonniers politiques, 60.630 personnes disparues au cours des 45 dernières années et qui depuis la signature des accords de paix a repris une politique sélective d’assassinat de leaders sociaux et de défenseurs des droits de l’homme. (Pour une information complète et en photos sur ces liens des héros du « Monde » avec le paramilitarisme colombien, lire « Venezuela : la presse française lâchée par sa source ? » http://bit.ly/1NQgl43)

Comment fait-on aux Etats-Unis pour garantir le droit à la vie, à la libre circulation, à la santé, à l’éducation et au travail quand des groupuscules, se disant “pacifiques”, bloquent durant des heures, voire des jours, les autoroutes, les rues et avenues et empêchent de façon violente les gens de sortir de leurs résidences et d’aller au travail, d’accéder aux centres de soins, aux écoles ou aux marchés? Comment garantit-on, aux Etats-Unis, l’ordre public quand des groupes violents et armés, convoqués par des secteurs de l’opposition aux avant-postes des manifestations “pacifiques”, agressent à coups de cocktail Molotov, de mortiers et d’excréments les forces de sécurité? Quelle est la marche à suivre, aux Etats-Unis, quand ces mêmes groupes violents dont les membres se cachent courageusement le visage sous des cagoules incendient des écoles, assiègent des maternités, et à l’instar des méthodes fascistes ou suprématistes brûlent vif des personnes à cause de la seule couleur de leur peau? Permet-on, aux Etats-Unis, que ces mêmes groupes se prévalent du droit à manifester pour lancer des bombes et tentent d’envahir des casernes militaires?

Enfin, pour justifier sa volonté d’intervenir au Venezuela, Donald Trump évoque une crise humanitaire, alors que le PNUD, organisme émanant de cette même ONU, a signalé en mars dernier que le pays de Bolivar a maintenu un haut indice de développement humain (IDH) -0,767 contre 0,762 en 2012- malgré l’agression économique subie et la brutale chute des prix du pétrole ces 4 dernières années. Cela situe le Venezuela à la 71e place sur 188 pays en termes d’Indice de Développement Humain. L’argument de la crise humanitaire est donc bien léger et il faudra en trouver d’autres plus crédibles et solides. S’il y a crise humanitaire, c’est bien dans des pays comme le Pérou ou le Brésil dont l’IDH est 0,740, ou même la Colombie avec un IDH de 0,727! N’y a-t-il pas contradiction à imposer des sanctions économiques à un pays sous prétexte de crise humanitaire, et contribuer par ces mêmes sanctions à l’aggravation de ladite crise? Car c’est bien ce qui est visé : empêcher le peuple vénézuélien d’accéder à des crédits internationaux lui permettant de se procurer des médicaments et de la nourriture.

Avec un taux de 4,4% de pauvreté extrême, et de 18,5% de pauvreté générale le Venezuela est bien mieux loti qu’un nombre conséquent d’autres pays aux taux bien supérieurs de pauvreté. Comment soutenir, à moins que cela ne soit qu’un prétexte, qu’un pays est englué dans une crise humanitaire quand la production per capita de ces 4 dernières années se maintient à des niveaux relativement élevés -9% de plus que ceux qui ont été enregistrés lors des 3 dernières décades-? Et, répétons-le, tout cela dans un contexte de guerre économique orchestrée et de chute drastique des prix mondiaux du pétrole… Toute l’industrie alimentaire ou sanitaire qui opère dans le pays avec des capitaux américains n’a pas été détruite. Ce n’est pas l’ouverture d’un couloir humanitaire, cheval de Troie d’une intervention au Venezuela, qui résorbera la pénurie dans ces secteurs, mais bien la levée de l’embargo commercial clandestinement mis en place depuis 4 ans contre le peuple vénézuélien par ces grands capitaux qui s’avère être l’urgence cruciale.

Article original sur Venezuela Infos

Source : 15 y Ultimo (Pasqualina Curcio) / et Venezuelainfos

Traduction : Jean-Claude Soubiès

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Venezuela Infos

Thierry Deronne, licencié en Communications Sociales (IHECS, Bruxelles, 1985) vit au Venezuela depuis 1994. Enseignant universitaire (UBV, UNEARTE) et formateur des mouvements sociaux au sein de l’Ecole Populaire et Latino-Américaine de Cinéma et de Télévision. Après avoir donné des formations audiovisuelles dans le Nicaragua sandiniste des années 80, il fonde cette école au Venezuela en 1994, et participe à la fondation de plusieurs télévisions associatives et publiques comme Vive TV, dont il fut vice-président de 2004 à 2010. Créateur du Blog www.venezuelainfos.wordpress.com