New York Times – Étrange courrier aux lecteurs

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Dans un article publié le 13 novembre en page A3 de l’édition New-Yorkaise du journal, l’éditeur et le rédacteur en chef s’emploient à justifier leur couverture de la campagne présidentielle et s’engagent à revenir à un traitement indépendant de l’information, sans crainte et sans parti pris.

  • Version « verbatim » telle que publiée sur le site NyTimes.com
  • Version « image » telle que rapportée notamment sur le site Poynter.org

Version Anglaise

To Our Readers, From the Publisher and Executive Editor

When the biggest political story of the year reached a dramatic and unexpected climax late Tuesday night, our newsroom turned on a dime and did what it has done for nearly two years — cover the 2016 election with agility and creativity.

After such an erratic and unpredictable election there are inevitable questions: Did Donald Trump’s sheer unconventionality lead us and other news outlets to underestimate his support among American voters? What forces and strains in America drove this divisive election and outcome? Most important, how will a president who remains a largely enigmatic figure actually govern when he takes office?

As we reflect on the momentous result, and the months of reporting and polling that preceded it, we aim to rededicate ourselves to the fundamental mission of Times journalism. That is to report America and the world honestly, without fear or favor, striving always to understand and reflect all political perspectives and life experiences in the stories that we bring to you. It is also to hold power to account, impartially and unflinchingly. We believe we reported on both candidates fairly during the presidential campaign.  You can rely on The New York Times to bring the same fairness, the same level of scrutiny, the same independence to our coverage of the new president and his team.

We cannot deliver the independent, original journalism for which we are known without the loyalty of our readers. We want to take this opportunity, on behalf of all Times journalists, to thank you for that loyalty.

Sincerely,

Arthur Sulzberger Jr., publisher

Dean Baquet, executive editor

Version Française

A nos lecteurs, de la part de l’Éditeur et du Rédacteur en chef

Lorsque le plus grand événement politique de l’année eût atteint un point culminant et inattendu, tard dans la nuit de mardi, notre rédaction a fait volte-face et fait ce qu’elle avait fait depuis pratiquement deux ans – couvrir l’élection 2016 avec souplesse et créativité.

Après une telle élection, à la fois irrégulière et imprévisible, des questions se posent inévitablement : Donald Trump, étant totalement atypique, nous a-t-il amenés, avec d’autres sources d’information à sous-estimer son soutien parmi les électeurs américains ?  Quelles forces et tensions en Amérique ont bien pu amener cette élection clivante et son résultat ?  Plus important encore, comment un président qui reste une figure largement énigmatique pourra-t-il véritablement gouverner lors de sa prise de fonction ?

Alors que nous réfléchissons à ce résultat capital, et les mois de reportages et de sondages qui l’ont précédé,  nous aspirons à nous recentrer sur la mission fondamentale du journalisme « Times », qui est de décrire l’Amérique et le monde honnêtement, sans peur ni parti pris, en nous efforçant toujours de comprendre et de refléter toutes les perspectives politiques et l’expérience personnelle dans les articles que nous vous apportons.  Il s’agit aussi de conserver le pouvoir de réaliser des comptes-rendus de manière impartiale et inflexible.  Nous pensons avoir couvert les deux candidats de façon équitable durant la campagne présidentielle.  Vous pouvez compter sur le New York Times pour faire preuve de la même équité, du même niveau de contrôle, et de la même indépendance dans la couverture du nouveau Président et de son équipe.

Nous ne pouvons pas délivrer un journalisme indépendant et original -qui a fait notre renommée-  sans la loyauté de nos lecteurs. Nous voulons profiter de cette occasion, au nom de tous les journalistes du Times, pour vous remercier de cette fidélité.

Cordialement,

Arthur Sulzberger Jr., éditeur

Dean Baquet, rédacteur en chef

(Traduction : Lvpc)

Quelques observations

  1. La première chose qui me frappe, c’est que l’article qui est supposé être un verbatim de la version papier se voit amputé d’une phrase, et pas n’importe laquelle :  « Nous pensons avoir couvert les deux candidats de façon équitable durant la campagne présidentielle ».  Et ça veut dire quoi, « on pense avoir… » ?  De deux choses l’une, ou bien on l’a fait, ou bien on ne l’a pas fait, on ne leur demande pas de se mettre en position de juger de leur propre indépendance.
  2. Donc dans la nuit de mardi, ils ont littéralement fait un 180° en l’espace d’un instant (turn on a dime)… et puis continué à faire ce qu’ils faisaient, mais avec « souplesse » et « créativité ».  Ca ne veut strictement rien dire, sauf à comprendre qu’ils ont en effet retourné leur veste vite fait.
  3. Une fois de plus on essaie de nous vendre que l’élection de Trump était totalement imprévisible, histoire de se dédouaner.
  4. « nous aspirons à nous recentrer sur la mission fondamentale » : on jugera sur pièce.

Pourquoi un tel courrier ?

Tout d’abord parce que la rédaction du journal avait été assaillie de courriers de lecteurs qui se plaignaient du traitement proprement indécent que le journal réservait à Donald Trump.  Alors évidemment, si Hillary Clinton avait gagné, ils auraient pu s’en tirer en disant « vous voyez, on avait bien raison de la soutenir », mais là…

Il s’en est suivi une véritable hémorragie de lecteurs, ce qui, dans un contexte économique déjà particulièrement tendu pour le journal, pourrait leur porter un coup fatal.

C’est donc littéralement le canon sur la tempe que les deux principaux responsables sont venus faire acte de contrition.

Conclusion

Personnellement je salue le courage de ces personnes qui ont du manger leur chapeau sans un verre d’eau ou de la mie de pain pour faire passer.  Je ne pense pas qu’on risque de voir le même genre de prise de conscience de la part de nos propres journaux, que ce soit en France ou en Belgique.

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Philippe

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles