Responsabilité de la France dans la rafle du Vél’ d’Hiv

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Le président jupitérien s’est une nouvelle fois distingué par sa veulerie, n’hésitant pas à rappeler la « responsabilité » de la France dans la rafle du Vél’ d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942.  Et si l’on creusait un peu les fondements juridiques et factuels ?

Les faits

La rafle du Vélodrome d’Hiver, est la plus grande arrestation massive de Juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre les 16 et 17 juillet 1942 plus de 13.000 personnes, dont près d’un tiers étaient des enfants, ont été arrêtées à Paris et en banlieue pour être déportées : moins d’une centaine reviendront.

Effectuées à la demande du Troisième Reich, qui, dans le cadre de sa politique d’extermination des populations juives d’Europe, organise, en juillet 1942, une rafle à grande échelle de Juifs dans plusieurs pays européens, l’opération «  Vent printanier ».  Ces arrestations ont été menées avec la collaboration de 7 000 policiers et gendarmes français, assistés de 300 militants du Parti populaire français de Jacques Doriot, sur ordre du gouvernement de Vichy, après des négociations avec l’occupant menées par René Bousquet, secrétaire général de la Police nationale. À la suite de ces négociations, initiées par Pierre Laval, les Juifs de nationalité française ont été exclus temporairement de cette rafle qui concerna essentiellement les Juifs, étrangers ou apatrides, réfugiés en France dont plus de quatre mille enfants souvent français nés de parents étrangers.  Source : Wikipedia

Responsabilité de « la France »

C’est bien joli de placer la responsabilité de cette barbarie sur « la France », mais de quelle France parle-t-on ?  La France de Vichy, occupée, ou la celle du Général De Gaulle, en exil à Londres ?  Laquelle des deux était légitimement détentrice de la personnalité juridique, et donc de la responsabilité qui en découle ?

Si le jupitérien semble avoir tranché la question une fois pour toutes en faveur de la première hypothèse, je pense pourtant que la question mérite d’être posée, et que la réponse est loin d’être aussi évidente qu’il y paraît.

Et non, il ne suffit pas de prétendre que le Général de Gaulle ne représentait que lui-même, et que la France était légalement représentée par le gouvernement de Vichy, tout simplement parce que la France était occupée.

La personnalité juridique des États

Si la notion même de personnalité juridique des États paraît aujourd’hui aller de soi, rappelons qu’il n’en a pas toujours été ainsi, loin s’en faut, et que cette notion est de facture relativement récente au regard de l’histoire.

Il s’agit en fait d’une tradition doctrinale qui remonte à la fin du 19ème siècle, notamment par les travaux de  R. Carré de Malberg.  Pour faire court, celui-ci soutient une conception de la personnalité de l’État qui sera spécifiquement française (à distinguer de la doctrine allemande).  Pour lui, l’État et la Nation ne font qu’un, ce sont les deux faces d’un même droit.  La Nation en tant que personne morale s’appelle l’État.  Et au contraire de la doctrine allemande, Carré de Malberg fait reposer cette personnalité juridique non pas sur la souveraineté de l’État, mais bien sur la souveraineté nationale.  Et c’est là qu’est l’os.

La thèse positiviste de l’inexistence d’un droit antérieur à l’État va conduire Carré de Malberg à défendre l’idée que la naissance de l’État ne peut être que factuelle. Selon lui, la constitution originelle ainsi que l’État ne sont que des purs faits non susceptibles de qualification juridique. Carré de Malberg reprend cette thèse de Jelinek, toutefois, alors que les juristes allemands accompagnent cette thèse de celle de la souveraineté de l’État, Carré de Malberg se référant à la tradition française, l’accompagne lui de l’affirmation de la souveraineté nationale. Il souscrit à la définition française de l’État comme personnification juridique de la Nation souveraine. L’État est une puissance juridique liée par le droit parce qu’il personnifie la nation souveraine. Ce critère de domination de l’État n’est transposable au droit public français qu’à la condition d’être modifié et adapté au principe de la souveraineté de la nation personnifiée par l’État. Certains auteurs comme Maurice Hauriou ou Léon Duguit ne retiendront pas l’idée d’autolimitation mais d’hétérolimitation.  Source : Wikipedia

Contemporain de Carré de Malberg, un autre grand juriste, Léon Duguit, avait, quant à lui de sérieuses réserves concernant cette personnalisation de l’État.

Pour le chef de l’École réaliste, la définition de l’État comme personne réelle est d’abord une idée métaphysique, une conception théologique.  L’emploi de ces deux termes, dans la rhétorique de son argumentation et conformément à un usage comtien, est par ailleurs purement péjorative, en ce qu’ils s’opposent à la science. « L’affirmation que toute corporation, la corporation étatique comme les autres, est une personne réelle par cela seul qu’elle est une corporation et que comme telle elle est investie d’une conscience et d’une volonté est une affirmation d’ordre purement métaphysique à priori, qui ne peut être admise en science positive. »  Source : La théorie de l’État de Carré de Malberg – Par Éric Maulin

Les objections

De ce qui précède, on peut déduire deux objections aux déclarations du président Macron.

  • Tout d’abord, la personnalité juridique de l’État français est une pure construction métaphysique, comme le soulignait Duguit.  Elle a surtout été placée là par Carré de Malberg pour ensuite y adosser la doctrine qui était la sienne.  Et dans la doctrine spécifiquement française, comme l’affirme lui-même Carré de Malberg, cette personnalité doit se fonder sur la souveraineté nationale.    Eh oui, les actions d’un gouvernement ne sont pas le fait d’une Nation, mais d’une toute petite poignée de dirigeants.
  • Ensuite, je crois que c’est clair, pas de responsabilité des conséquences sans le pouvoir qui a conduit à mener ces actions.  Je m’explique : où était la souveraineté nationale française en 1942 ?  À Berlin.  Le gouvernement fantoche de Vichy n’avait en réalité aucune souveraineté, aucun pouvoir, et à ce titre, la personnalité juridique de la France (qui lui est consubstantielle) était, de facto, suspendue.

C’est sans doute la raison pour laquelle François Mitterrand avait toujours refusé, non sans quelques bonnes raisons, que la France endossât la responsabilité des crimes commis sous l’occupation, fussent-ils le fait de policiers français.

De deux choses, l’une : ou bien on parle de responsabilité personnelle, et dans ce cas je crois qu’il ne reste plus beaucoup en France de gens ayant pris part d’une manière ou d’une autre à la rafle du Vélodrome d’hiver, ou bien on parle de la responsabilité d’un État, et en ce cas, il restera à démontrer que cet État était souverain au moment des faits.  Pas de responsabilité sans pouvoir, pas de faute sans libre arbitre, pas de responsabilité de l’État sans souveraineté nationale.

Et si la France avait continué à jouir de sa souveraineté nationale, aurait-elle déporté 13.000 juifs de France ?  Répondre à ceci c’est désigner les vrais responsables, le reste, c’est de l’auto-flagellation.

Les fautes du père ne sont pas les fautes du fils, ne vous en déplaise

Chaque fois que l’actualité nous ramène sur un plateau la « responsabilité » collective que nous aurions dans la shoah, je me rappelle cette superbe fable de La Fontaine, qui illustre si parfaitement ce concept primitif et délicieusement barbare de la responsabilité héréditaire.

Le loup et l’agneau
Jean de La Fontaine

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point.
– C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles