Roselyne Bachelot, du gouffre à la résurrection

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Nous voilà rue Saint-Honoré, où Roselyne Bachelot nous reçoit en exclusivité dans ses bureaux du Ministère de la Culture, transformés en PC de crise. Partie pour tendre la main, elle se ravise aussitôt car la distanciation sociale s’impose, aussi incompatible soit-elle avec son tempérament si avenant et spontané. Toute la France se souvient qu’en mars dernier la célèbre ministre-animatrice était quasiment donnée pour morte, suite à une vaccination qui n’avait pas encore eu le temps de faire effet. « J’ai un Covid long qui m’amène à certaines précautions », souffle-t-elle avant de s’effondrer avec grâce derrière son bureau, surmonté d’une gigantesque vitre en plexiglas et orné d’un simple distributeur de gel hydroalcoolique.

Même Michel Sardou n’ose plus l’approcher. Seule face au néant, c’est une femme détruite mais positive que nous rencontrons. Où va-t-elle chercher toute cette résilience? « J’essaie d’apprivoiser la mort au maximum », confie-t-elle. « À chaque expiration, le stress sort de mon œsophage ».

Une formidable leçon d’espérance.

Roselyne Bachelot, en vous voyant on a le sentiment d’assister à un miracle. Où en êtes-vous vis-à-vis de vous-même?

R. BACHELOT : Grâce à mon mental, je reprends des forces chaque jour. Mes pensées solidaires accompagnent tous ceux qui souffrent, et j’espère de tout cœur que malgré tout, ils s’en sortiront quand même.

Vous déclariez récemment que le tri était le meilleur des anti-stress, ce qui a aidé énormément de gens. En pénétrant dans vos locaux, on est tout de suite interpellé par leur sobriété presque surnaturelle. Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui, au terme d’une carrière aussi étincelante que la vôtre, vous avez enfin fait le tri ?

C’est vrai que l’univers m’a toujours mise sur le chemin de mes rêves, et que j’ai toujours accepté ses cadeaux avec gratitude. Mais à plus de 70 ans, on a passé l’âge de s’embêter avec les futilités: il est temps de souffler un peu et de dire stop pour libérer son esprit. On débarrasse son intérieur des meubles, des objets, des vêtements qui ne nous plaisent plus et qui nous encombrent. C’est ce que je pense profondément.

Tout le monde s’accorde à dire qu’au ministère de la Santé, vous avez cassé beaucoup de codes.

J’ai cassé tout ce que j’ai pu mais j’ai été bashée à l’époque, si vous saviez !

Dire qu’on vous a accusée d’avoir acheté des masques en trop grande quantité… La bassesse humaine n’a décidément pas de limites.

Quand on achète beaucoup de choses, on fait forcément des envieux. Mais je ne suis pas dans la rancœur. Fille de résilients pendant la 2e guerre mondiale, je n’ai jamais eu qu’un seul but dans mes fonctions publiques : servir les Français. Et avec moi, ils ont été servis.

Certains vous reprochent encore d’avoir dépensé des centaines de millions d’argent public pour des traitements qui ne marchaient pas, et se sont même avérés dangereux pour la santé. Est-ce bien raisonnable de leur part ?

Franchement, je ne pouvais quand même pas le deviner ! Ce n’est pas moi qui les fabrique… D’ailleurs cette question ne se serait pas posée si on avait forcé les gens à les prendre, comme c’est le cas aujourd’hui.

Vous avez eu le tort d’avoir raison trop tôt. Si c’était à refaire ?

Si c’était à refaire, j’en commanderais 3 ou 4 milliards de plus, car en tant que femme j’ai l’habitude de n’écouter que mon cœur. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai été clouée au pilori.

Lorsqu’on a prétendu que face à la grippe H1N1, vous en aviez fait trop ?

C’est ce qu’on dit chaque fois qu’une femme prend des décisions. Ces derniers jours, je me suis réveillée la nuit, en me refaisant le film des dépenses que j’avais faites. Si on avait été face à une vraie pandémie, est-ce que cela aurait suffi ?

Dans le fond, vous avez été une précurseureuse du quoi qu’il en coûte, cette doctrine pleine d’altruisme grâce à laquelle une fois de plus, la France éblouit le monde entier par sa gestion inédite de la crise.

Comme me le disait Bree l’autre jour (NLDR : il s’agit de la Première Dame, avec qui Roselyne entretient une relation pleine de confiance et d’authenticité) : qui mieux qu’une grand-mère, est en situation de comprendre que la vie est hors de prix ?

La rescapée du bashing

Grâce au coronavirus, vous êtes redevenue une icône sanitaire et au grand dam de vos détracteurs, vous voilà de retour dans les plus hautes sphères.

Ce gouvernement étant le plus inclusif de tous les temps, je m’y suis fait une place sans problème. Pour en faire partie, il faut juste attraper la Covid 19.

Et être à jour de son schéma vaccinal ?

L’un ne va pas sans l’autre.

Aujourd’hui, pourquoi la Culture ?

Ça ne date pas d’aujourd’hui car vous savez, je suis une touche-à-tout, une élève non stop de la vie. Au ministère de la Santé j’avais déjà acquis une solide expérience dans le domaine de la télé-réalité, et c’est tout naturellement que j’ai rebondi dans l’audiovisuel. D’Europe 1 à France 2 en passant par LCI, voilà maintenant près de dix ans que je patauge dans la Culture, ce milieu captivant plein de personnes merveilleuses.

Vous avez même fait une incursion remarquée au théâtre dans Les Monologues du vaccin, où vous avez littéralement brûlé les planches.

Il s’agissait d’un aventure placée sous le signe de l’engagement sociétoïde, aux côtés de Marlène Schiappa et de Myriam El Khomri, deux artistes de haut niveau, si poignantes que les larmes me montent aux yeux rien que d’en parler.

(Par souci de notre sécurité elle disparaît sous la table pour se moucher, mais quelques minutes plus tard elle parvient à se hisser de nouveau jusqu’à nous, ce qui a pour effet de dissiper nos inquiétudes).

C’est fascinant de voir à quel point vous réussissez dans tout ce que vous entreprenez. Quel est votre secret ?

J’embrasse toutes les situations, et je médite sans aucune résistance. Dernièrement j’ai fait aussi Les Reines du shopping sur M6.

Un rôle sur mesure ! Cela a-t-il joué pour la suite ?

Certainement, puisque j’ai finalement été retenue pour interpréter mon propre rôle dans Roselyne et les cornichons, le prochain Casteix. J’étais bien sûr intimidée à l’idée de travailler avec l’auteur de 39°8 le matin et de La Thune dans le caniveau, qui m’ont subjuguée et restent pour moi une source inépuisable d’inspiration. Mais j’avoue qu’il est difficile de résister à l’enthousiasme communicatif de Casteix, et j’ai finalement décidé d’accepter car pour moi ce projet est un message d’espoir et de confiance en l’avenir, qui apporte aux gens de l’imaginaire de qualité.

Un refus aurait pu être à craindre car aujourd’hui vous êtes une Diva du paysage politique, ayant largement prouvé tout ce dont elle est capable.

Je me suis dit: ça matche bien avec ma mission, j’y vais. Pour moi la Culture c’est d’abord une histoire d’amour et de partage, des valeurs qui me poursuivent depuis toujours.

Mais c’est aussi un combat ?

Le plus essentiel de tous. La Culture c’est notre ligne Maginot contre le repli sur soi, et aussi notre dernier espoir contre les peurs et la désinformation, que j’ai combattues toute ma vie durant.

Unis contre la banalisation

Vous faites sans doute allusion à ces voix dissonantes qui se répandent complaisamment sur les plateaux depuis le début de la crise, et tentent d’inoculer le doute sur la pertinence des mesures sanitaires ?

Face à la dissonance, il n’y a pas d’alternative : nous devons faire bloc comme un champ de poireaux dans la tempête. Pour nous détruire moralement, les rassuristes ont recours au procédé tristement célèbre de la banalisation, qui n’est rien d’autre que l’antichambre de l’ignominie.

Comment espèrent-ils nous faire croire qu’il a existé d’autres virus comparables, alors qu’aucun n’a jamais détruit autant d’économies à la fois ?

Laissez-moi vous dire qu’en tant que pharmacienne, j’ai eu à lutter très tôt contre la banalisation du mal : mal aux dents, mal au crâne, ongles incarnés, tous ces « bobos » auxquels on commet souvent l’erreur de ne pas prêter suffisamment d’attention. Et à chaque fois, on finit par le regretter amèrement.

Ne se rendent-ils pas compte qu’en semant le doute sur les mesures courageuses du gouvernement, ils déprécient du même coup les sacrifices accomplis par chacun d’entre nous ? Selon vous, quelles raisons les poussent à adopter une attitude aussi contre-productive sur le plan moral  ?

Contrairement à ceux dont le travail est de nous transmettre les instructions de la Science, les rassuristes ne perçoivent, de leur propre aveu, aucune rémunération pour les propos qu’ils tiennent. Et ensuite, ils s’étonnent de ne pas être pris au sérieux…

On devine sans peine qu’ils sont motivés par l’aigreur…

D’où leur propension à dénigrer toutes les maladies, et à travers elles, l’humanité tout entière. Dans la droite ligne du climatoscepticisme, du machisme et du terrorisme, le rassurisme s’explique avant tout par l’ego narcissique de ses promoteurs, une notion que nous avons évidemment du mal à appréhender.

Déjà en 2009, certains ont poussé le sexisme jusqu’à minimiser l’ampleur du tsunami viral auquel vous vous aviez dû faire face.

Le plus regrettable dans cette affaire c’est qu’ils avaient raison, et j’en connais qui s’en sont même félicités. Cela prouve à quel point ils vivent dans un monde différent du nôtre, c’est-à-dire étranger à la souffrance humaine. Torpiller une épidémie, voilà tout ce qu’ils savent faire.

Sur Twitter, plusieurs internautes vont jusqu’à imaginer des pressions des laboratoires pharmaceutiques sur les décideurs...

Encore une infox. Moi qui ai fréquenté des labos toute ma vie, je peux vous dire que ce sont des gens prévenants, attentionnés, chez qui on est toujours très bien reçu.e. Ce n’est pas le champagne qui manque, même dans les réunions de travail les plus sérieuses en apparence.

Comment freiner ce poison du doute et de la controverse ? Partout des amitiés se défont, des foyers se brisent… Comment replanter les graines de la paix ?

Sombrer dans le dialogue est évidemment la dernière des choses à faire quand on se retrouve confronté à un fanatique, n’importe quelle Afghane vous le dira. Les pensées rassuristes peuvent devenir obsessionnelles à mesure que nous les combattons, et elles finissent par emplir notre quotidien d’émotions négatives. Là encore, le salut passe par le désencombrement. Dépolluer son intérieur. S’entourer de personnes suaves et sereines, expirer le chaos et le désordre.

La Culture a-t-elle un rôle à jouer dans la gestion du stress ?

Voyez comme l’empaquetage de l’Arc de triomphe a redonné de l’espoir aux gens. Nous projetons d’enchaîner avec celui du Sénat et de l’Assemblée nationale, afin de montrer que Christo n’a jamais été aussi vivant que depuis qu’il est mort. Bref, tout faire pour que le croisement de nos imaginaires demeure la plus précieuse de nos richesses intérieures. D’ailleurs Anne est emballée, c’est le cas de le dire (NLDR : il s’agit de la Maire de Paris, avec qui Roselyne a su développer une amitié transpartisane fondée sur l’ouverture et la complicité).

En tout cas, voilà un magnifique projet de contribution à l’harmonie du monde, notamment entre les femmes et les non-femmes.

Et au resserrement du tissu social. Tout ce que nous plantons dans notre esprit, à force de grossir, deviendra un jour réalité.

>> Article original sur Normalosphère

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Olivier Foreau

Se définit lui même comme " ne se lassant pas du PS ", entendez par là qu'il le brocarde joyeusement chaque fois qu'il en a l'occasion. Et pas que le PS d'ailleurs. Sa plume acérée et son humour assassin sont au service de cet inlassable observateur du fait politique en France, qu'il analyse sans concession, avec le regard désabusé de celui qui se sait être dindon de la farce, mais n'entend pas se priver de faire savoir tout le bien qu'il en pense.

Une réflexion sur “Roselyne Bachelot, du gouffre à la résurrection

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    28 décembre 2021 à 13:14
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    Digne du Gorafi. Quelques passages m’ont bien fait rire (jaune). J’ai même mis quelques paragraphes à comprendre, tellement c’est à peine caricatural de la réalité (ou alors c’est la réalité qui est devenue une caricature).

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