Salade Niçoise

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Cazeneuve pris en flag de mensonge, Libé accusé de conspirationnisme, une policière municipale qui accuse le ministère de l’intérieur d’avoir fait pression sur elle pour qu’elle rédige un faux rapport, et un journaliste Allemand vraiment… chanceux.

Je ne sais pas pour vous, cher lecteur, mais pour moi, j’ai de plus en plus le sentiment que les enquêtes sur les affaires de terrorisme, ou du moins les attentats à répétition que nous connaissons depuis quelque mois ont tendance à partir inévitablement en sucette.  Ca commence comme un drame, et ça finit systématiquement en vaudeville.

Apparemment, la seule constante, et la seule réalité tangible de ces attentats sont les victimes : tout le reste est sujet aux rebondissements burlesques, et ce serait presque drôle si ce n’était pas tragique.

Tragique pour toutes les vies perdues, les familles brisées et une société qui ne comprend pas, qui ne comprend plus, et que des politiciens sans scrupules poussent pour des raisons purement électoralistes vers un clivage mortifère qui pourrait bien s’avérer fatal pour la République.

La question à se poser, c’est qui a intérêt à diviser la société et à monter les citoyens français les uns contre les autres sur des motifs religieux ou leur origine ?

  • Un président qui sait que même une chèvre gagnerait contre lui et qui par un calcul aussi dangereux que cynique essaie de reproduire la situation de 2002 qui avait vu Jean-Marie Le Pen opposé au deuxième tour à Jacques Chirac, qui fût élu à 82% pour un second quinquennat.
  • Un gouvernement qui dans la droite ligne de Washington poursuit des objectifs inavouables au Moyen-Orient, s’attaquant dans la plus parfaite illégalité à des pays souverains en prenant comme prétexte un prétendu lien, souvent impossible à établir, entre les responsables des attentats en France et Daesh.  Et en pratique on soutient Al-Nusra et des modérés comme Nour al-Din al-Zinki qui décapitent des enfants et postent leurs exploits sur youtube.  Le 19 juillet dernier, probablement en représailles de l’attentat de Nice, l’aviation française bombardait le village de Toukhan al-Koubra près de la frontière turque faisant 120 morts civils, d’après le ministère des affaires étrangères syrien (source : RT).  Personnellement j’ai un peu de mal à comprendre en quoi les femmes et les enfants de ce village étaient responsables de la tuerie de la promenade des Anglais.

Petit florilège des derniers actes de la pièce actuellement à l’affiche à Nice

Libération accusé de complotisme.

Ou la tête que ferait la grenouille de bénitier si le curé de la paroisse lâchait
bruyamment une caisse au moment de distribuer les hosties.

Le 20 juillet, Libération publie un article intitulé  « Sécurité à Nice. 370 mètres de questions » :

Contrairement à ce qu’a affirmé le ministère de l’Intérieur, l’entrée du périmètre piéton de la promenade des Anglais n’était pas protégée par la police nationale le 14 juillet au soir. Ce manque de transparence entame la confiance dans l’exécutif.

Le ministre Cazeneuve contre-attaque par voie de communiqué le même jour :

M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur, s’indigne des contre-vérités que le journal a publiées dans son édition datée du 21 juillet. Ces méthodes interrogent la déontologie des journalistes qui ont signé ces articles. Ces procédés, qui empruntent aux ressorts du complotisme, sont graves, car ils laissent penser que le Préfet des Alpes-Maritimes, le Ministre de l’Intérieur et le Premier Ministre auraient cherché à travestir la vérité là où ils se sont résolument engagés dans une démarche de totale transparence, dans le respect dû aux victimes et dans la responsabilité qui est la leur devant la Nation meurtrie.

En gros, il se drape dans sa dignité (qu’il a par ailleurs fort ample), et accuse Libé de complotisme sans négliger au passage de convoquer la Nation meurtrie.

Accusations assez mal vécues oserais-je dire par le quotidien qui pourtant accomplissait depuis des années déjà, impitoyablement et sans faillir, son devoir de frère inquisiteur au sein du paysage médiatique français.  Passer de la chaire d’inquisition aux brodequins de fer, ça a dû leur faire quelque chose.

Je passe sur les réponses en forme de petits cris d’orfraie que Libé aura bégayées dans la journée, mais que je place en référence de l’article, au cas où vous seriez en mal de lecture, ou si vous pensiez comme moi que c’est un plaisir trop rare pour le galvauder.

Le ministère de l’intérieur accusé par une policière municipale d’avoir exercé des pressions pour qu’elle produise un faux rapport

Sandra Bertin est cheffe du centre de supervision urbain (CSU) de la ville de Nice. A ce titre, cette policière municipale a eu accès aux images de vidéosurveillance de l’attentat du 14 juillet, lorsque Mohamed Lahouiaej-Bouhlel a ôté la vie à 84 personnes sur la promenade des Anglais à bord d’un 19 tonnes. Alors qu’une polémique enfle depuis plusieurs jours sur les conditions de sécurités mises en place le soir du drame, elle jette un pavé dans la mare et accuse ce dimanche le ministère de l’Intérieur d’avoir exercé « des pressions » pour qu’elle modifie son rapport.

Dans le JDD, Sandra Bertin, en charge de la vidéosurveillance le soir de la tuerie, explique avoir reçu le lendemain du drame la visite d’un commissaire de police envoyé « par le ministère de l’Intérieur ». Ce dernier l’aurait mise en lien téléphonique avec un interlocuteur de la place Beauvau, dont elle ne donne pas l’identité, pour la rédaction de son rapport. (source : L’express – 24.07)

Là encore le ministre contre-attaque par communiqué, et menace en termes à peine voilés cette policière qui ne fait, en somme, que son travail :

A la suite des graves accusations proférées ce matin à l’encontre du ministère de l’Intérieur par Sandra BERTIN, cheffe du centre de supervision urbain de la Ville de Nice dans les colonnes du Journal du Dimanche, le procureur de Paris François Molins vient de rappeler que c’est sous sa seule autorité et dans le cadre de l’enquête judiciaire que des policiers enquêteurs ont été dépêchés au CSU de Nice le 15 juillet.

Contrairement à ce que Madame BERTIN affirme, ce n’est donc en aucun cas « le cabinet du ministre de l’Intérieur qui a envoyé un commissaire au CSU » ou qui aurait eu des échanges avec elle.

En conséquence, M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur, porte plainte ce jour pour diffamation.

Il serait très utile que Mme Sandra Bertin soit auditionnée par les enquêteurs et puisse leur produire les identités et les fonctions des personnes qu’elle met cause, les mails qu’elle évoque et leur contenu. (…)

J’ai également lu aujourd’hui les démentis de Cazeneuve, appuyés par Manuel Valls en personne, ainsi que les articles de presse qui ressemblent de plus en plus à une exécution publique.  Toutefois, je reste dubitatif pour deux raisons :

  • Pourquoi Sandra Bertin aurait-elle prétendu qu’ils s’agissait d’envoyés du Ministère si ils ne lui avaient pas dit, et pourquoi prétendrait-elle qu’ils auraient fait pression pour lui faire rédiger un faux si ce n’était pas vrai ?  Parce qu’en tout état de cause, l’intéressée savait également que si elle mentait, elle risquait (au mieux) de se faire virer sèchement pour faute grave;
  • Pourquoi Cazeneuve, s’il est aussi sûr de son dossier, rameute la cavalerie en la personne de Manuel Valls ? Besoin de rassurer ?

J’espère qu’une enquête impartiale nous apprendra ce qui s’est réellement passé.

En faisant le choix de s’opposer frontalement à la version de la policière, le ministre engage directement sa responsabilité.  S’il est avéré que des pressions ont effectivement été faites sur Madame Bertin par un envoyé du Ministère de l’Intérieur, il sera lâché par le premier ministre et contraint piteusement à remettre sa démission.

Et pendant ce temps, à Munich

On apprend par Nice-Matin que le journaliste qui avait tourné et diffusé les premières images de l’attentat de la promenade des Anglais se trouvait aussi sur les lieux de la tuerie de Munich.  Au moment de l’attentat et non après comme le laisse entendre le quotidien puisque sur ses images on voit l’auteur des faits sortir du centre commercial et tirer sur des passants.

Coïncidence tragique. Richard Gutjahr était à Nice le 14 juillet, puis à Munich le 22.

Journaliste indépendant bavarois, c’est lui qui, depuis le balcon de son hôtel, a tourné au smartphone la vidéo où l’on voit Franck, le héros au scooter, tenter de stopper le camion sur la Promenade. Des images qui ont été diffusées par trois chaînes de télévisions allemandes, notamment dans le journal du soir d’ARD. Des extraits du film ont par la suite été largement repris sur Internet.

L’homme était à Nice en vacances, à titre privé. Il a indiqué dans une interview au Spiegel qu’il y passait « un week-end prolongé » et voulait « vivre pour la première fois » la fête du 14 Juillet en France.

Huit jours plus tard, vendredi soir, les internautes le retrouvent à Munich, son lieu de résidence principale. Sur son compte Twitter suivi par près de 90.000 personnes, le journaliste poste quelques photos de l’intervention policière après l’attaque du forcené. Une fusillade qui a fait 9 morts et 27 blessés, et qui n’est, selon les premiers éléments de l’enquête, pas liée à un mobile islamiste.

« Je suis devant le centre commercial », a-t-il notamment twitté selon le quotidien allemand Die Welt, accompagné d’un cliché des forces de l’ordre se préparant à donner l’assaut.

Pour ma part j’estime que la probabilité de se trouver « par hasard » sur les lieux et au moment des deux attentats est proche de zéro, à comparer avec la chance que vous avez en lisant ces lignes de ramasser une météorite sur le coin de la cafetière.

Mais d’un autre côté, la théorie du complot est stupide.  Parce que si c’était un complot, jamais cette personne n’aurait publié quoi que ce soit, et le cas échéant, les donneurs d’ordre auraient envoyé deux personnes différentes n’ayant pas de lien direct entre elles.

N’empêche, cette coïncidence, il faut la prendre pour ce qu’elle vaut, et si j’étais enquêteur, j’irais faire un petit tour du côté du réseau SS7 (GSM) sur base de l’IMEI du téléphone de l’intéressé qui doit être facile à retrouver histoire de pouvoir retracer ses pérégrinations avant, pendant et après chaque attentat pour voir si ces trajectoires ne recouperaient pas (par le plus grand des hasards) le parcours d’un des auteurs, ou de tout autre lieu important pour l’enquête.  Et ce avant que les fournisseurs n’effacent ces données qui ne sont pas conservées éternellement.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles