Venezuela : Le jour J, les camions n’ont pu entrer (Pagina12)

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Photo : Vue aérienne du pont international entre Cúcuta et Ureña, où l’on peut voir la fumée des camions brûlés.

Malgré le déploiement permanent de la confrontation sur les ponts de Bolívar et de Santander, à laquelle s’est ajoutée une tentative d’occupation de l’aéroport de San Antonio qui a été rapidement maîtrisée, l’opposition a cherché à faire un usage politique de l’aide humanitaire.

Le 23 février, le jour de l’entrée annoncée de l’aide humanitaire au Venezuela, est arrivé… et a pris fin. Les prédictions apocalyptiques n’ont pas eu lieu, Nicolás Maduro n’est pas tombé, Juan Guaidó est resté à Cúcuta, le pays n’est pas entré dans une confrontation cinématographique. Haute tension ? Beaucoup, en particulier dans la région frontalière qui sépare les deux pays par trois ponts sur une rivière presque à sec : Simón Bolívar, Tienditas et Santander. Du côté de Táchira, les villes de San Antonio et Ureña, de l’autre au nord de Santander, avec la ville de Cúcuta.

La journée a commencé tôt avec ce qui était attendu : une pression frontale avec la force médiatique sur les ponts. Les actions ont eu des moments d’euphorie, en raison par exemple du fait qu’une poignée de membres de la Garde nationale bolivarienne (GNB) a décidé de rejoindre les rangs de Trump-Rubio-Duque-Guaidó. L’euphorie est vite retombée et au fil des heures, s’imposait la certitude que ni les gens, ni les camions ne passeraient de l’autre côté.

Cette situation a entraîné deux éléments principaux. D’une part, le déploiement d’un affrontement permanent sur les ponts de Bolívar et de Santander, avec une tentative d’occupation de l’aéroport de San Antonio qui a été vite réduite, et d’autre part l’utilisation de camions pour une « aide humanitaire ».

La confrontation a rappelé les stratégies de rue violentes déployées en 2014 et 2017 par la droite dans plusieurs villes du pays, appelées guarimbas. À la différence qu’elles sont concentrées sur les ponts internationaux et qu’elles ont le soutien explicite des organes de sécurité de l’État colombien. Le cycle a été répété : avancer vers le territoire vénézuélien, reculer, essayer de passer sous le pont dans le cas de Simón Bolívar. Que devrait faire un gouvernement face à une tentative d’invasion de Guarimbera financée par des fonds internationaux ?

L’utilisation des camions a eu trois moments importants. Le premier consistait à montrer des caravanes sur la route menant aux ponts et à exploiter médiatiquement les images, le second à mentir en affirmant qu’elles étaient entrées au Venezuela – comme le chanteur vénézuélien Nacho l’a fait quand la journée fut finie – et le troisième à générer un « faux positif », comme l’incendie de deux camions. L’idée était d’accuser la GNB, quand elle a été filmée face aux jeunes en première ligne.

L’incendie des camions semble avoir été planifié, et a abouti à l’accusation de Nicolás Maduro d’avoir commis un crime contre l’humanité, l’escalade des menaces internationales, comme celle qu’a également exprimée le sénateur américain Marco Rubio, qui a déclaré que le Venezuela avait tiré en territoire colombien, et que les États-Unis défendraient la Colombie en cas d’agression.

La vérité est que, en dehors de ces épisodes, ce qu’ils avaient annoncé ne s’est pas produit. L’aide humanitaire n’est entrée au Venezuela à aucun moment, ni par la Colombie, ni par le Brésil, ni par mer. La Force armée nationale bolivarienne n’a pas été brisée. Les ponts ressemblaient aux images déjà connues de la stratégie violente de la droite, mais dans un cadre plus complexe. Si ce devait être le dernier jour, ce ne fut pas le cas, et ce fut loin de l’ampleur annoncée. Une fois de plus, ce fut la désillusion pour la base sociale de l’opposition, confrontée à la distance qui sépare les promesses de ses dirigeants – qui sont désormais internationales – et les corrélations réelles des forces.

Le Chavisme, pour sa part, a fortement mobilisé à Caracas. Il s’agissait de sa cinquième mobilisation consécutive en cinq jours. Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé que la rupture des relations avec le gouvernement colombien était une mesure centrale, en plus des décisions prises les jours précédents de fermer les frontières avec le Brésil, la Colombie et les îles d’Aruba, Bonaire et Curaçao.

Le résultat du 23 fut une grande offensive qui se voulait finale mais qui n’a pas atteint, loin s’en faut, ses objectifs, et un gouvernement vénézuélien qui est resté debout face à une attaque qui, comme on le supposait, a frappé simultanément sur plusieurs flancs : armée, médias , psychologie, diplomatie, territoire. Cela se solde finalement par ce qui était attendu en fonction des forces réelles – sans effet gonflé par les réseaux sociaux – et sans l’apparition d’une nouvelle lettre d’Elliot Abrams, Iván Duque ou Marco Rubio.

Il existe un autre résultat, à savoir le nombre de fausses nouvelles, de constructions de rumeurs, de données non vérifiées, sans sources crédibles. Cela fait partie de l’avalanche, de l’étourdissement, de la justification de nouvelles actions possibles. Le cas des camions incendiés a été le plus clair. La difficulté réside souvent dans la confirmation des sources, des chiffres, de la véracité des faits, ce qui est généralement balayé par la logique de la guerre dont la colonne vertébrale est la communication. Personne ne peut être surpris par un mensonge étasunien lors d’un assaut, le droit à l’innocence est interdit, le besoin de suspicion est permanent.

Que se passera-t-il le 24 ou le 25 ? Il est trop tôt pour savoir, semble-t-il, selon la façon dont les événements se dérouleront, que des pressions continueront d’être exercées sur les ponts mais sans capacité réelle d’entrer au Venezuela, que les menaces et les réunions internationales augmenteront, et que les « faux positifs » de grande ampleur continueront.

Rubio, dans la nuit du 22 au 23, a évoqué la possibilité que l’Armée de libération nationale de Colombie tue des civils. Il a annoncé ce qu’ils semblent vouloir faire eux-mêmes, comment le déguiser et, à partir de là, justifier de nouvelles actions et passer de la forme « d’aide humanitaire » à un nouveau régime ?

Nous sommes dans des heures et des jours complexes, où l’un des objectifs centraux du gouvernement vénézuélien, du Chavisme, est de prévenir les pièges, les images de la violence, la violence elle-même, qui a fait 42 blessés du côté vénézuélien.

Une idée du climat social samedi soir est donnée par la tendance de Twitter, où cinq des marques commerciales les mieux positionnées, demandent une intervention internationale. La certitude qu’ils ne seront pas en mesure de renverser Nicolás Maduro, élu démocratiquement, semble constituer la majorité.

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Traduction Michel TAUPIN

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Marco Teruggi

Marco Teruggi est un journaliste franco-argentin. Né à Paris en 1984, où il a vécu jusqu'en 2003, avant de retourner en Argentine, pour y étudier la sociologie à l'Université Nationale de La Plata, déjà actif au sein d'organisations de défense des droits de l'homme et dans des mouvements populaires.