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Dans un arrêt rendu le 24 mars dernier, la Cour du travail de Liège déboutait le comptable d’une ASBL bruxelloise qui avait été licencié pour faute grave pour avoir simplement liké une publication en soutien à la « quenelle » de l’artiste polémique Dieudonné.

Cet article de l’Echo, daté du 28 décembre est une perle de propagande, et je me propose de le disséquer avec vous. Comme nous le verrons, il s’agit d’induire l’idée que non seulement la « quenelle » est un geste antisémite… mais que ce serait un motif de licenciement pour faute grave. Comment ? En posant pour acquit ce qui n’a jamais été établi tout d’abord, et en faisant intervenir un « spécialiste », l’homme en blouse blanche, ou en l’occurrence en toge noire puisqu’il s’agit d’un avocat, non pas pour commenter l’arrêt de la cour, mais bien pour enfoncer le clou, même si c’est parfaitement hors sujet.

Ainsi, le journaliste démarre très fort, dès le chapo de l’article :

La cour du travail de Liège a ouvert une brèche suite à un arrêt positif pour l’employeur, en mars, dans une affaire de « like » de contenu antisémite par un comptable d’une ASBL.

Dans lequel, on pose d’emblée le caractère antisémite de la quenelle, comme ça, tranquillou. Or il convient de se rappeler qu’aucun tribunal n’a jamais qualifié ce geste d’antisémite, même si des antisémites ont été condamnés pour avoir fait ce geste devant des lieux emblématiques comme des synagogues, par exemple. Ainsi, le Tribunal Fédéral (Suisse) avait considéré la « quenelle » comme discriminatoire :

[…] Mais dans cette affaire, les juges retiennent surtout la mise en scène : trois hommes en rang serré, dont un en tenue d’assaut de l’armée suisse, faisant une « quenelle » face à une synagogue, le visage partiellement couvert. Pour la Haute cour, la connotation antisémite ne fait aucun doute.

Vous aurez noté la nuance : c’est le contexte qui justifie la qualification, pas le geste.

D’ailleurs, la définition de Wikipedia est tout aussi claire :

[…] Ainsi, l’étude du contexte du lieu de commission d’une quenelle (notamment devant une synagogue) a permis au tribunal correctionnel de Bordeaux de caractériser une provocation à la discrimination. En revanche, la justice n’a jamais donné de signification à la quenelle.

En gros on peut bien avoir un Alain Jacubowicz qui nous fait un numéro digne de la cage aux folles, suivi d’une lettre au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian et au ministre de l’Intérieur Manuel Valls dans laquelle il associait la « quenelle » au salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah, mais ça reste un peu leur idée fixe à eux qu’ils ont. Rien à voir avec une qualification pénale, avec un délit.

En fait, je pense que si Dieudonné reprenait dans un sketch le tube de Dorothée « Ce matin, un lapin… », en tutu rose avec les doigts en V au dessus de la tête, ces mêmes experts ne manqueraient pas d’y trouver un sens caché nous ramenant aux heures les plus sombres. Pour un marteau, tout finit par ressembler à un clou.

La réalité est un tout petit peu plus nuancée, et il n’est pas inutile de se pencher dessus pour comprendre le phénomène. Personnellement, je ne crois pas que Dieudonné soit antisémite, ce genre de considérations politiques est le dernier de ses soucis. Il est intéressé avant tout par son succès et n’a pas hésité une seconde avant d’instrumentaliser toute une jeunesse désabusée, pratiquement laissée pour compte de la république. Il a rapidement saisi l’opportunité que représente cette jeunesse, indignée par le soutien sans faille du pouvoir politique à un État colonisateur et brutal, face à une population sans défense. Que savent ces jeunes de l’antisionisme ? Que savent-ils de l’antisémitisme ? Je crains que la réponse soit : peu de choses. Leur coeur saigne juste à l’idée d’une injustice criante qui se poursuit depuis 1948. Parce qu’ils sont jeunes et n’ont pas forcément une culture politique, ils sont aisément manipulables, et gagner leur confiance signifie « ne plus jouer dans un bus, mais faire salle comble à chaque représentation » : n’était-ce pas ainsi que Dieudonné remerciait Manuel Valls dans une vidéo ?

Dieudonné fait-il vraiment pire que ses détracteurs ? Je n’en ai pas l’impression. Il n’a jamais tué personne, ni poussé qui que ce soit à la violence. En revanche, les agressions brutales de l’OTAN au Moyen-Orient, culminant avec l’assassinat de Kadhafi et la guerre en Syrie ont fait plus d’un million de morts. A-t-on entendu l’expression du moindre remords de la part des décideurs pour avoir sauvagement massacré des milliers de civils innocents ? Je n’en ai nulle souvenance. C’est bien eux qui incarnent le principe du fort contre le faible, de la violence gratuite exercée contre des populations sans défense, semant la mort, la désolation et la famine partout où ils passent. Où est la juste indignation du monde politique contre l’agression sauvage du Yémen par l’Arabie Saoudite avec le soutien logistique des USA ? On est en train d’assister à la plus grande épidémie de choléra jamais observée dans l’histoire, elle aura pour conséquence des centaines de milliers de victimes parmi les enfants, mettant en péril l’avenir même de régions entières. C’est ça, être « bon » ? Pour moi, l’ordure, c’est toujours celui qui tient le flingue.

Mais revenons à nos moutons

L’article est parsemé de petits encarts placés en exergue, reprenant des citations de l’expert invité, l’avocat Carl Vander Espt, et on peut notamment y lire :

Le travailleur qui aime des publications provenant de sites à l’humour grinçant véhiculant des idées à connotation raciste, s’est effectivement approprié ces idées.

Dans lequel il postule, lui aussi, qu’il s’agit d’idées à connotation raciste, le posant là comme une évidence. Sauf que je serais vraiment très étonné si la cour du travail s’était avancée à qualifier pareillement ces contenus, et si elle l’avait fait, elle n’aurait pu le faire qu’en se basant sur une jurisprudence existante en droit pénal. L’unique objet de l’instance étant de juger si les droits du travailleur licencié ont bien été respectés, et si le licenciement sec répondait en effet aux critères tels que définis dans le code du travail.

Exemples de cas pouvant, dans certaines circonstances, être constitutifs de motif grave

Avertissement : les différents exemples repris ci-dessous ne constituent pas, en soi et nécessairement, des motifs graves mais pourront l’être en fonction des circonstances :

  • l’absence injustifiée au travail
  • le refus de se soumettre à un contrôle médical
  • l’absence d’information d’une absence pour incapacité
  • l’exercice d’une activité concurrente
  • la divulgation d’informations confidentielles
  • l’absence de respect des horaires, de consignes de sécurité
  • les injures, violences,…
  • le vol, la fraude, le détournement
  • l’ivresse répétée
  • le refus non justifié d’exécuter le travail convenu
  • l’abandon du travail
  • certains faits de la vie privée ( de nature par exemple à porter atteinte à la réputation de l’entreprise, à avoir une influence sur le chiffre d’affaires )
  • certains comportements sexuels
  • dans certaines circonstances, fumer sur les lieux du travail, et ce spécialement depuis le 1 janvier 2006

Dans l’appréciation du caractère grave du motif, on tiendra compte notamment du type de fonction exercée par le travailleur ( importante, de confiance ), et des circonstances entourant la faute. Source : Droit Belge

Les (vraies) raisons du licenciement

L’intéressé travaille comme comptable au sein d’une ASBL bruxelloise. Il partage et « like » des publications relatives à la « quenelle ». Son supérieur hiérarchique l’apprend, le convoque et lui fait savoir que l’expression publique de telles idées est de nature à porter atteinte à la réputation de l’entreprise. Que l’on soit d’accord ou pas avec cette ingérence, le comptable a pris bonne note de la remontrance, et s’est engagé par écrit à supprimer les publications litigieuses et à n’en plus publier, désormais. Or voici que quelque mois plus tard, il récidive en « likant » des contenus similaires avec la suite que l’on connaît.

La question n’est pas ici de savoir si l’employeur est fondé à décider quelles idées peuvent être exprimées par un employé, mais bien de comprendre que celui-ci a manqué à sa parole. Il avait de facto reconnu ces publications comme étant inappropriées, rendant par là même superfétatoire pour la cour d’avoir à les requalifier.

Tout… et son contraire

Amusant de lire, à la toute fin de l’article, l’intervention d’un autre avocat, Étienne Wéry :

il est difficile de savoir si la cour serait arrivée à une telle conclusion s’il n’y avait pas eu un tel engagement de la part de l’employé vis-à-vis de son employeur. « La question ici est véritablement autour de cet engagement plus que du like en tant que tel. De plus, on ne peut pas dire de manière générale que liker un contenu revient à le reprendre à son compte ».

Dans lequel tout ce qui précédait est mis en pièces en un seul paragraphe. Mais alors, me direz-vous, quel intérêt tout d’abord de présenter une version que l’on sait être une interprétation capillotractée n’ayant rien à voir avec la réalité ? Tout simplement de poser que la « quenelle » serait un « geste antisémite » et d’induire chez le lecteur que le simple fait de liker de telles publications serait constitutif d’une faute grave. Terroriser le chaland, en somme, mais pas que…

Conclusion, et quelques éléments de réponse aux critiques que ne manquera pas de soulever cet article

L’article original de l’Écho visait avant tout à jouer le rôle de contrefeu aux faits divers qui ont récemment défrayé la chronique :

  • assassinat de Ibrahim Abou Thouraya, 29 ans, cul-de-jatte en fauteuil roulant, tué par un sniper israélien alors qu’il manifestait à Gaza
  • arrestation de Ahed Tamimi, une jeune activiste palestinienne de 16 ans, qui risque jusqu’à 7 années de prison pour avoir « giflé » un officier israélien (pauvre chou, j’espère qu’il s’en remettra).

Comment ? En cherchant à attiser le conflit communautaire, ce qui ne manquera pas de provoquer des réactions furieuses des gens qui, pour de bonnes ou mauvaises raisons, soutiennent Dieudonné, ou plus généralement, sont indignées par les agissements criminels de l’État-colon. La communauté hurlera à l’antisémitisme, et chacun sait qu’on ne peut pas être tout à la fois animé d’empathie pour un peuple martyrisé, et soutenir un geste qui s’apparente à « un salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah » (faut vraiment qu’il consulte, pépère, il doit avoir un défaut de câblage à l’intérieur du crâne).

Il faut être aveugle pour ne pas voir que cette décision du tribunal n’a strictement aucun lien avec l’aspect « antisémite » (ou pas) des publications en question. D’ailleurs, dès que je pourrai mettre la main sur l’arrêt, je le publierai, je suis pratiquement sûr que le mot « antisémite » n’y figure même pas.

Sur la quenelle

Au départ, ça n’avait rien d’un geste antisémite, c’est bien clair; même si c’est nettement moins clair quand ce geste est fait devant une synagogue ou un mémorial, et pas un McDo ou un paysage bucolique. Pour le dire autrement, la quenelle, c’est un peu comme les papas papous à poux : il y a les à poux pas papous et les pas à poux papous… Et de même, il y a des racistes qui font la quenelle et d’autres qui en mangent et n’en pensent pas moins. Et il doit bien se trouver quelques artisans quenelliers qui ne seraient pas vraiment beaucoup plus racistes que Manuel Valls dit El Blanco lui-même.

Le racisme sous toutes ses formes doit être combattu, et il existe tout un arsenal juridique pour cela. Ainsi c’est le droit, dit par un juge, qui détermine qu’un acte est raciste ou pas.  Et c’est précisément parce qu’aucun tribunal n’a jamais qualifié le geste en lui-même comme étant une expression antisémite que les médias « à la botte » essaient de le poser comme si c’était une évidence.

A l’inverse, il ne faudrait pas, comme dans ce cas-ci, que l’antisémitisme serve de prétexte à faire taire les opposants à la politique brutale de colonisation israélienne, qu’on désigne souvent sous le terme d’antisionistes, dont je suis.

Les Israéliens n’ont aucune leçon à donner à qui que ce soit en termes de racisme. On parle quand même d’un pays où l’actuelle ministre de la justice en appelait, il n’y a pas si longtemps, au massacre, en parlant des mères des combattants du Hamas :

Elles doivent mourir, et leurs maisons doivent être détruites de telle sorte qu’elles ne puissent plus abriter de terroristes. Elles sont toutes des ennemies, et leur sang devrait être sur nos mains. C’est aussi valable pour les mères des terroristes morts.

On parle d’un pays qui a pratiqué longtemps la stérilisation forcée des femmes fallashas, toujours traités aujourd’hui plus ou moins comme du bétail, en Israël, parce qu’ils sont noirs.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles