Catalogne, une bombe à retardement au coeur de l’Europe

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Le gouvernement de Mariano Rajoy tente le coup de force pour empêcher la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, le 1er octobre prochain.

Mercredi 20 septembre, la guardia civil investissait de force les bureaux du gouvernement de la région de Catalogne, et procédait à l’arrestation de 14 dirigeants, dont le numéro deux du ministère des Finances de la région, Josep Maria Jové.  Dans le même temps, elle menait une quarantaine de perquisitions et faisait main basse sur dix millions de bulletins de vote, dans ce qui ressemble à une tentative désespérée d’empêcher la tenue du scrutin.

Le nerf de la guerre

La veille, soit le 19 septembre, le gouvernement espagnol avait bloqué tous les comptes bancaires de la région catalane, lui retirant ainsi de fait son autonomie, selon les termes employés par le dirigeant séparatiste Oriol Junqueras.

En Espagne, à l’exception notable du Pays Basque et de la Navarre, c’est le l’État qui lève les impôts, qui sont ensuite redistribués aux régions selon une répartition largement défavorable à la région de Catalogne, pourtant la plus prospère du pays.

La région, qui compte 7,5 millions d’habitants contribue pour 21% du PIB du pays mais ne reçoit que 11 % des investissements publics du pays. Le déficit fiscal de la région, calculé selon la méthode des flux monétaires, est communément estimé à environ 16 milliards d’euros, autour de 8% du PIB de la Catalogne. Le système de redistribution des recettes fiscales entre l’État et les communautés autonomes espagnoles est considéré inéquitable dans la mesure où il ne respecte pas le principe d’ordinalité : le classement des régions selon la richesse par habitant avant redistribution se trouve fortement altéré après redistribution, la Catalogne étant par exemple rétrogradée du quatrième au onzième rang des 17 communautés autonomes.  En outre, certaines communautés autonomes comme le Pays basque et la Navarre bénéficient du concert économique, c’est-à-dire qu’elles prélèvent elles-même les impôts, sans passer par l’agence tributaire de l’État.  Source : Wikipedia

La méthode du docteur Rajoy : casser le thermomètre

Qu’on soit pour ou contre l’indépendance de la Catalogne, force est de constater que l’État espagnol retourne à ses vieux démons, que l’on croyait exorcisés depuis 1977.  Cette brutale reprise en main par la force (le gouvernement espagnol ayant même évoqué un moment d’envoyer l’armée en Catalogne), pourrait difficilement être qualifiée autrement que de violence.

Et quand le dialogue politique est remplacé par l’usage de la force pour imposer ses vues, on ne peut plus vraiment parler de démocratie.  Pire, cette brutale agression aura pour effet de rassembler tous ceux qui étaient jusque là indécis, et de renforcer la détermination des indépendantistes.  Le risque n’est pas négligeable que les plus radicaux partent littéralement en guerre contre l’État central, ce qui pourrait ouvrir une nouvelle ère d’instabilité politique aux allures de guerre civile au coeur de l’Europe.

On se trouve ici devant un dilemme, une sorte de paradoxe démocratique.  Même si la Charte des Nations Unies de 1945 réaffirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, celui-ci n’a jamais été appliqué que de manière très inégale, surtout pour faire avancer les agendas politiques du moment, comme avec l’indépendance du Kossovo en 2008.  Par contre, quand c’est la Crimée[1] et le Donbass qui font sécession, vous l’aurez observé, c’est parfaitement inacceptable.  Cherchez l’erreur.

Le jeu trouble de la Commission Européenne

Et les intérêts des uns… ne sont pas les intérêts des autres : vous souvenez-vous de la petite déclaration sibylline de Jean-Claude Junker, président de la Commission Européenne ?

« mais il est évident que si un oui à l’indépendance de la Catalogne voyait le jour, nous respecterions ce choix ».

Étrange, n’est-ce pas, quand on connaît le peu de goût de la Commission Européenne pour les consultations populaires.  Référendum sur un projet de constitution européenne (2005), référendum sur le rapprochement de l’Union Européenne avec l’Ukraine (Pays-Bas, avril 2016), et plus récemment, le Brexit…  Autant de consultations populaires qui se sont soldées par des désavoeux cinglants pour la Commission Européenne.

Mais alors, d’où viendrait cet intérêt subit de nos édiles pour l’avis de la plèbe s’agissant de la Catalogne ?  Pour le comprendre, un petit retour en arrière s’impose.  Peu de gens le savent, mais l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est que le pendant de l’OTAN, qui en est le bras armé au service exclusif des USA.  Ce projet, qui s’appelait à l’origine les États-Unis d’Europe avait pour objectif de contrer l’expansion du communisme en lui opposant un bloc à la fois militaire et économique.  En pratique, il s’agissait d’une confédération d’États que les Américains voulaient le moins à mêmes de s’opposer à leur hégémonie.   Il s’agissait de détricoter les puissants États-Nations au profit de régions comptant au maximum quelques millions d’habitants.  Ce seront les Eurorégions, appuyées par la Commission Européenne.

Ainsi la Commission vise à la fois l’expansion pour l’Union Européenne l’éclatement en patchwork des territoires qui la composent pour instaurer l’avènement du néolibéralisme à l’américaine tel que le décrivait Pierre Bourdieu : un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur.

Et maintenant ?

Si le gouvernement espagnol s’imagine que l’affaire en restera là, il se trompe lourdement.  Ce n’est pas en bâillonnant les indépendantistes par la force qu’ils viendront à bout de la grogne et de la légitime aspiration des Catalans à une plus grande autonomie.  En l’état actuel des choses, et ne voyant pas le bout du tunnel de la crise économique qui s’éternise, chaque citoyen catalan se voit délesté de 2.100 euros, chaque année, au titre de la solidarité.  Ce genre de solidarité, quand il est exigé par tous moyens de coercition, cela peut tout aussi bien s’appeler du racket.

[1] : Erratum, ajouté la Crimée, rattachée à la Russie par référendum, 95% de la population s’étant prononcée en faveur du retour à la Russie. (Edit 25.09.17 – 13h55)

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles