Les petits lutins ont encore frappé

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Les décodeurs, ce sont ces petits lutins hydrocéphales qui vivent, quelque part dans un « Monde » fantasmagorique, tels les Hobbits de la Comté, et qui consacrent leur existence entière à scruter l’actualité, et à redonner à l’Authentique Vérité Vraie toute la place qui lui revient de droit.

Bon, parfois, ça dérape sec, aussi, mais que voulez-vous, tout reclus qu’ils sont dans leur « Monde », ils n’ont pas forcément un accès facile aux sources, ou à toutes ces diableries, là, comment dites-vous ?  Ah oui, l’Internet.  Ils ont bien quelques terminaux minitel à la bibliothèque, mais ils semblerait que ceux-ci soient momentanément en dérangement depuis quelques années déjà.

Du coup, c’est dans leur infinie sagesse et leur inépuisable savoir qu’ils doivent chercher les réponses aux questions que personne, tout d’abord, n’aurait jamais pensé à leur poser.  Non, il suffit que cela soit un « sujet d’actualité », et s’il est « controversé », alors il y a certainement matière à remettre un avis bien définitif, à l’argumentation forcément implacable.  Chacun sait que les lutins sont infaillibles…  C’est axiomatique.

Cette fois, nos intrépides petits bachi-bouzouks sylvestres s’attaquent à du lourd, le sujet controversé de l’indépendance catalane.  Les justifications ?  Mais non, ça, c’est pour les faibles, et une fois de plus, ils sauront nous montrer par A+B=C(oupas) que la Vérité Vraie n’a pas à tenir compte de vétilles comme la « réalité » ou le « droit ».  Il suffit qu’elle soit affirmée par l’Autorité.

Les huit questions que pose une éventuelle déclaration d’indépendance de la Catalogne

Comme nous le verrons, ce n’est pas du tout l’indépendance de la Catalogne qui pose ces questions, mais bien nos petits lutins, et tant qu’ils y étaient, ils se sont dit qu’ils pourraient y répondre, aussi.  Faut croire qu’on a pas mal de temps libre, au pays des petits lutins.  Pas au point d’aller potasser de temps à autre l’abondante documentation, mais assez bien tout de même.

Regardons cela de plus près

1 Une déclaration unilatérale d’indépendance a-t-elle une valeur légale ? NON

La question est sans objet parce qu’il s’agit d’un truisme, une lapalissade.  Existe-t-il un seul exemple d’un État qui aurait inscrit dans sa constitution les modalités de sa dislocation ?  Donc, cela ne peut être qu’illégal, dans tous les cas.

Pour la communauté internationale, la situation est embarrassante. La Catalogne se prévaut du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », principe de droit international qui a permis à des Etats de se déclarer indépendants après avoir été colonisés (comme la Rhodésie) ou opprimés (comme le Kosovo). Mais ce droit n’a jamais été appliqué à des Etats démocratiques. Par ailleurs, la notion de peuple catalan est complexe à définir.

Il n’y a aucun « embarras » ici, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est issu d’un texte non-contraignant en droit (la Charte des Nations-Unies) qui n’a strictement aucune valeur légale. Il s’agit d’une déclaration de principe, un idéal vers lequel il faudrait tendre.  Et vous l’aurez remarqué, chaque fois que ce « droit » a été appliqué, c’était par les États eux-mêmes (ONU), dans la stricte application de leur propre agenda (Kossovo, par exemple).  Parce que si l’argument de l’oppression était fondé, d’où viendrait que l’on n’a pas reconnu le droit des russophones de Crimée à être rattachés à la Russie ?  D’une manière générale, en droit, les obligations pour le peuple sont libellées de manière on ne peut plus claire, et les droits, quant à eux, sont laissés opportunément dans un flou juridique, sujets à toutes sortes d’interprétations en fonction du contexte.   Eh oui, il ne faudrait pas que la plèbe s’imagine qu’elle pourrait faire valoir ses « droits », sinon où irait-on ?

2 Aura-t-elle des conséquences concrètes ? EN THÉORIE, OUI

Ici, on démarre en mode « Madame Irma, voyante extralucide ».  Nous le verrons, la voyance est une des spécialités de l’auteur, Anne-Aël Durand.  Elle sait tout faire : le marc de café, les lignes de la main, la boule de cristal, et même les osselets.  Plus sérieusement, et dans la mesure où les conséquences seront (ou pas) le fait d’actions concrètes dont on ne sait dans quelle mesure elles se produiront, est-ce que cette question n’est pas juste un peu ridicule ?  Quoi qu’à bien y regarder, y répondre est encore plus ridicule.

3 Le gouvernement central de Madrid va-t-il l’empêcher ? PROBABLEMENT

Ici vous voyez à l’oeuvre une deuxième caractéristique de l’article.  On continue en mode Mme Irma, mais quant aux prédictions, disons qu’on n’est pas trop affirmatif, non plus.  N’était-il pas plus judicieux de répondre tout simplement que le gouvernement central allait en tout cas essayer de l’empêcher ?  Parce que les choses étant ce qu’elles sont, si la Catalogne déclare unilatéralement son indépendance,  il ne restera plus au gouvernement central qu’une seule alternative : reconnaître l’indépendance et en tirer les conclusions, ou y envoyer l’armée pour mater la rébellion dans le sang.  Accessoirement, on se retrouverait du jour au lendemain avec une guerre civile terrifiante au coeur de l’Europe.

4 L’Union européenne peut-elle servir de médiateur ? C’EST FLOU

Flou ou bien légèrement contradictoire, tout simplement ?  Vous souvenez-vous de la petite déclaration sibylline de Jean-Claude Junker, président de la Commission Européenne ?

« mais il est évident que si un oui à l’indépendance de la Catalogne voyait le jour, nous respecterions ce choix ».

Ce qui s’appelle prendre parti, ou serait-ce complotiste, comme point de vue ?  La réalité est celle d’un double standard.  D’une part, des pays terrifiés à l’idée de leur propre désintégration sous l’effet des forces centrifuges du régionalisme, et dans le même temps, une commission qui assume totalement l’idée des euro-régions, tellement pratique pour rendre l’opposition démocratique inaudible au niveau européen.

Assez savoureuse, aussi, la petite phrase disant que « La plupart des dirigeants européens n’ont fait aucune déclaration officielle sur le référendum, par crainte d’être taxés d’ingérence ».  Ah ben oui, tiens, on ne voudrait surtout pas que la Commission s’immisce dans les affaires intérieures d’un État souverain, ou se permette de les menacer, comme dans le cas du Brexit, par exemple…   Et là nous mettons le doigt sur une troisième caractéristique des médias dominants : ils nous prennent pour des poissons rouges, littéralement.

5 Une Catalogne indépendante pourrait-elle rester dans l’UE ? EN THÉORIE, NON

Et là, bardaf, c’est l’embardée.  La réponse est pourtant simple et ne laisse place à aucun doute, c’est non.  L’indépendance de la Catalogne signifierait la naissance d’un nouvel État souverain qui devrait dans un premier temps être reconnu par l’Assemblée Générale des Nations-Unies, puis, le cas échéant, poser sa candidature en vue d’une adhésion à l’Union Européenne.

A noter que l’élargissement de l’Union Européenne doit impérativement faire l’objet d’un vote à l’unanimité des États membres.  Et mon petit doigt me dit que l’Espagne résiduelle, réduite à une peau de chagrin économique ne serait pas très encline à approuver cette adhésion.

6 Peut-elle garder l’euro comme monnaie ? OUI, MAIS…

Encore une fois, une réponse parfaitement floue alors que la réalité est que la Catalogne pourra bien utiliser la monnaie qu’elle veut, y compris l’Euro si tel est son souhait.  Elle pourrait tout aussi bien instaurer une peseta qui aurait l’avantage de permettre à l’État nouvellement créé de procéder à une dévaluation afin d’amortir le choc économique que représentera l’émancipation du giron de l’Espagne.  L’argument consistant à dire « Mais elle n’aurait, dans ce cas, aucun appui de la Banque centrale européenne » n’est pas pertinent pour trois raisons :

  • La Catalogne ne sera pas membre de l’Union Européenne au moins les dix premières années;
  • La Catalogne est la région la plus riche d’Espagne, après la région de Madrid;
  • Qui voudrait de l’appui de la Banque centrale européenne ?  Pour avoir une Troïka, comme en Grèce ?  Pour réduire les pensions, vendre les joyaux de l’État à vil prix et imposer toujours plus d’austérité sans qu’on puisse jamais voir le bout du tunnel ?
7 La Catalogne est-elle un Etat viable économiquement ? EN THÉORIE, OUI

La question est ridicule.  On parle de la deuxième région la plus riche d’Espagne, et l’une des plus riches d’Europe.  Elle contribue pour 20% du PIB national.  Pour quelle mystérieuse raison cette viabilité pourrait-elle être remise en cause ?  Vous connaissez, vous, ne serait-ce qu’une seule région de la taille de la Catalogne qui ne serait pas « viable » économiquement ?

8 L’indépendance peut-elle plomber l’économie catalane ?  DISCUTABLE

Le poids de la dette publique catalane est selon moi, largement surévalué, ou alors il faudrait décréter tous les États ayant une dette approchant ou dépassant les 100% du PIB en faillite, or on s’aperçoit que c’est le cas de la majorité des États les plus prospères du monde, à commencer par les USA.

L’idée que l’Espagne transférerait, « comme ça », une partie de sa dette à la Catalogne…  est un peu optimiste, pour dire le moins (c’est oublier que la Catalogne aura son mot à dire là-dessus, et qu’il n’existera plus à ce moment de lien de subordination entre la région et l’État central).  La raison en est simple : la Catalogne contribue nettement plus qu’elle ne profite en termes d’argent public, elle ne contribue donc pas à l’endettement, mais au contraire, à apurer les dettes des régions les plus pauvres du pays.

La supposée fuite des entreprises en raison de l’instabilité politique sont juste une poupée de chiffon que l’on agite devant les Catalans pour les faire rentrer dans le rang.  Banco Sabadell et CaixaBank veulent délocaliser ?  Ok, j’ai moi-aussi une petite question : qui sont leurs clients ?

S’il y a en effet une économie qui risque d’être plombée comme une caille le jour de l’ouverture de la chasse, c’est bien l’économie de l’Espagne résiduelle, qui elle, va plonger dans le trente-sixième dessous.

Conclusion

Cet article illustre parfaitement la citation d’Audiard qui avait donné son titre à un célèbre film : « c’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule ».

Questions sans objet, truismes, affirmations péremptoires totalement fausses, supputations oiseuses, tout à l’avenant.  Il faut vraiment être doté d’une sérieuse dose de culot pour écrire un pareil monceau d’inepties.  Amusant quand on sait que ce sont les mêmes qui reprochent à des médias alternatifs d’être imprécis ou de publier des informations non vérifiées.

Post-Scriptum : message personnel pour Anne-Aël Durand

Chère Madame,

Pourriez-vous intercéder auprès du lutin-rédac-chef de votre service afin que je puisse moi aussi arborer fièrement ma petite pastille décodex orange ? (Ou rouge, ce serait encore mieux, mais je n’ai pas de prétention à obtenir tout de suite pareille reconnaissance, d’autres sont probablement plus dignes que moi).

Voyez-vous, tous mes amis l’ont, et c’est quand même, quoi qu’on en dise, une décoration fort prisée, le signe infaillible qu’on réussit à être le poil à gratter, le caillou dans la godasse, le furoncle sur la fesse du cycliste… de la presse dominante.

Je vous promets de m’en montrer digne.  Pas comme Ruffin, qui a été brutalement rétrogradé à la catégorie « fréquentable », j’imagine pour de bonnes raisons !  D’ailleurs, puisqu’on en parle, n’hésitez-pas à me les faire connaître, que je puisse savoir ce qu’il ne faut jamais, jamais faire, sous peine de se voir radier du club.  Bon, déjà, je ne risque pas d’être élu au parlement français, j’imagine que c’est un bon point pour moi ?

Vous remerciant par avance,

Votre fidèle lecteur,

Philippe

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles