Quand le Figaro fait du (mauvais) Gorafi

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Puis je vis un trône blanc, très grand, et Celui qui siège dessus. Le ciel et la terre s’enfuirent de devant sa face sans laisser de traces. Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône ; on ouvrit des livres, puis un autre livre, celui de la vie ; alors, les morts furent jugés d’après le contenu des livres, chacun selon ses oeuvres. Et la mer rendit les morts qu’elle gardait, la Mort et l’Hadès rendirent les morts qu’ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses oeuvres.  Alors la Mort et l’Hadès furent jetés dans l’étang de feu – c’est la seconde mort cet étang de feu — et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l’étang de feu. (Apocalypse 20,11-15)

Au commencement était… la volonté populaire

Le 23 juin 2016, les habitants du Royaume-Uni étaient appelés à se prononcer sur l’avenir du pays au sein de l’Union Européenne. Sur fond de crise migratoire et de baisse endémique du niveau de vie des classes moyennes, la population avait choisi de quitter l’UE. Sur les 30 millions de personnes (71.8% de la population) qui avaient participé au référendum, 51.9% votèrent en faveur du Brexit, plongeant les dirigeants européens (et les faiseurs d’opinion) dans une véritable crise d’hystérie.

L’article 50 de la constitution stipule qu’en l’absence d’accord, la décision de quitter l’Union Européenne prend cours exactement deux ans après sa notification, soit dans le cas qui nous occupe, le 29 mars à 11h (heure locale).

Or cette date s’approche à grand pas, et toujours aucun accord à l’horizon : pire, Theresa May a rembarré sèchement les petits comiques qui proposaient (puisque les Anglais avaient mal voté) de réorganiser un second référendum… How shocking !

Les prédicateurs de fin du monde

Vous aurez remarqué comme moi, sans doute, que l’ensemble des dirigeants eurobéats ne se contente pas de prédire que le Brexit sera une catastrophe pour le peuple britannique, on sent clairement qu’ils appellent cette catastrophe de tous leurs voeux !

Analysons ensemble, si vous le permettez, un des derniers articles publiés sur ce sujet sur le (pas si) vénérable Figaro, journal pourtant réputé nettement plus sérieux que les torchons de la presse (censément) de gauche.

Quelles seront les conséquences du Brexit pour les voyageurs aériens ?

L’éventualité d’un Brexit sans accord fait planer le risque d’une interruption des liaisons aériennes entre l’UE et la Grande-Bretagne. S’il est probable qu’un tel scénario sera évité, de nombreux désagréments affecteront tout de même les passagers.

Ah bon, et à quel titre exactement ? Je n’ai pas l’impression que les liaisons aériennes entre le continent et le Royaume-Uni datent de son adhésion à l’UE, pourtant ? N’y avait-il pas, antérieurement, un truc qu’on appelle des accords bilatéraux ? Ou faudrait-il croire qu’on ne peut voyager par avion vers ou en provenance des pays hors UE, comme la Suisse ou la Norvège ?

Hausse des prix

La chute de la livre de près de 15% face à l’euro depuis 2016 a mécaniquement augmenté le prix des voyages à l’étranger pour les Britanniques. Or le Royaume-Uni est le deuxième plus gros exportateur de touristes d’Europe. 76 % d’entre eux voyagent d’ailleurs vers les pays membres de l’UE. Le PDG de la compagnie low cost Monarch Airlines, Andrew Swaffield, affirmait d’ailleurs avant le référendum sur le Brexit que ce dernier entraînerait « des tarifs aériens plus élevés et moins de vols entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ».

Cette dévaluation a aussi « mécaniquement » augmenté l’attractivité du Royaume-Uni en tant que destination, puisque tout y est désormais moins cher de 15%. Or pour un État, l’argent dépensé à l’étranger est de l’argent perdu, du point de vue de la balance commerciale, tandis que l’argent dépensé sur place par les touristes est une rentrée supplémentaire et une source de profit. Difficile de dire dans quelle mesure cette dévaluation sera contre-productive pour le Royaume-Uni, mais apparemment, pour nos médias européistes, c’est gravé dans le marbre.

Demandes de visa et d’autorisation obligatoires

La liberté de déplacement des ressortissants britanniques au sein des autres pays de l’Union européenne pourrait être remise en cause. Les Britanniques devront, en fonction des modalités négociées avec l’UE, être munis d’un visa pour quitter leur pays. Aucun accord n’a encore été signé à ce jour, ce qui imposera les mêmes règles pour les Européens en partance pour le Royaume-Uni.

Celle-là vaut vraiment son pesant de cacahuètes : le Royaume-Uni n’a jamais été partie aux accords de Schengen, et en conséquence, les formalités pour s’y rendre n’ont jamais changé d’un iota. Il ne fallait pas de visa à la plupart des ressortissants européens pour s’y rendre, et rien ne changera le 29 mars prochain, sauf si des idiots (européens) se mettaient en tête d’imposer aux citoyens britanniques un visa pour se rendre sur le continent. En pareil cas, il y a fort à parier que ceux-ci appliqueraient la réciproque, ce qui n’aurait d’autre effet que d’entraver la mobilité des citoyens des deux côtés de la Manche.

Juridiquement, l’argument est vide : c’est un des nombreux mensonges que la propagande essaie de faire passer auprès du public, en espérant qu’il ne cherchera pas trop à comprendre en quoi c’est juste du vent.

Contrôles aux douanes rallongés

Consacrée par l’article 20 du traité sur l’Union européenne, la liberté de circulation et de séjour est également garantie par l’article 45 de la Charte européenne des droits fondamentaux. Elle constitue l’un des attributs de la citoyenneté européenne. En cas de « hard Brexit », les frontières seraient donc totalement rétablies dès mars 2019, entraînant la congestion des points frontières, le rétablissement des formalités douanières ainsi que des contrôles permanents.

Argument fondé sur les mêmes contre-vérités que le précédent. Le Royaume-Uni n’a jamais fait partie de l’espace Schengen, ses frontières n’ont jamais été ouvertes, et si vous voulez vous y rendre, même aujourd’hui, que ce soit en avion, en train ou en bateau, vous aurez à passer un contrôle douanier. Rien ne changera de ce point de vue après le Brexit. C’est étrange, de la part de journalistes du plus grand quotidien de France de faire preuve d’une telle ignorance ? Ou alors s’agirait-il de pure propagande ?

Derrière la propagande hystérique, la peur

Je pense que vous conviendrez avec moi que si les décideurs européens et la presse étaient ne serait-ce qu’à moitié honnêtes, il devraient se contenter de prendre acte de la décision des habitants du Royaume-Uni, leur souhaiter bonne chance, et attendre de voir ce que sera la situation après deux ou trois années ?

Parce qu’il se pourrait bien que l’apocalypse n’ait pas lieu, tout compte fait, et que l’économie du Royaume-Uni s’en trouve dopée, contrairement aux prévisions des Cassandre de service qui sont plus dans le registre de Savonarolle que dans celui de l’analyse.  Le Royaume-Uni est un contributeur net au budget européen à concurrence de 5,6 milliards d’euros annuels, et sa balance commerciale est largement déficitaire, notamment en faveur de pays comme la France, qui sera la première économie impactée par les conséquences du Brexit.

Et c’est cela qui rend ces décideurs hystériques : l’idée que le pari anglais pourrait bien s’avérer gagnant dans les grandes largeurs, prouvant au passage que l’UE n’est pas un facteur de développement mais bien un carcan qui nous maintient tant et plus dans la récession.

Parce qu’en fin de compte, ce qui fait la richesse d’un pays, c’est sa population et son territoire : l’histoire montre que le Royaume-Uni a toujours su tirer son épingle du jeu et préserver son statut de grande nation européenne, je ne vois objectivement aucune raison pour que cela change dans les années à venir.

Le péril, pour les nations européennes, viendra d’Asie, et principalement de Chine. Eh oui, à force de délocaliser toute la production vers ce qu’il faut bien appeler désormais l’usine du monde, en visant le profit immédiat au détriment du développement à long terme, l’Europe s’appauvrit, et pire encore, perd irrémédiablement ses moyens de production au profit d’une Chine désespérément en quête de développement économique et de marchés.

La politique européenne de sanctions, vis-à-vis de la Russie, dictée directement par les USA, ne fera qu’accentuer encore le retrait de celle-ci des marchés européens pour se tourner vers l’Asie, désormais au centre du monde.

Et quand vous n’aurez plus même les quelques euros pour vous acheter cette jolie chemise en coton vendue trois fois moins cher que l’équivalent made in France, ou ce joli smartphone tellement bon marché, eh bien ce sera à vous de goûter les délices de l’existence dans un pays sous-développé. Régime totalitaire, salaires rabotés, pensions en chute libre, service publics inexistants, et corruption à tous les étages.

Tel ouroboros, c’est le propre du capitalisme que de commencer à se manger lui-même lorsqu’il a fini d’épuiser toutes les ressources passant à sa portée.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles