Anatomie d’un sophisme

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Dans cet article, je me propose de vous illustrer l’usage du sophisme comme outil de manipulation politique, par un exemple concret, largement rabâché dans l’actualité depuis quelques mois.

Qu’est-ce qu’un sophisme ?

Un sophisme est une argumentation à la logique fallacieuse. C’est un raisonnement qui cherche à paraître rigoureux mais qui n’est en réalité pas valide au sens de la logique (quand bien même sa conclusion serait pourtant la « vraie »). À l’inverse du paralogisme, qui est une erreur dans un raisonnement, le sophisme est fallacieux : il est prononcé avec l’intention de tromper l’auditoire afin, par exemple, de prendre l’avantage dans une discussion (…)

Vous souvenez-vous du tollé qu’avait suscité l’attaque raciste d’Anne-Sophie Leclère (à ce moment tête de liste FN aux municipales) ?  Elle avait publié sur sa page Facebook un photomontage comparant la garde des sceaux, Christiane Taubira, à un singe.

Dans les semaines qui suivirent, la formule suivante fit florès.

Le racisme n’est pas une opinion, mais un délit

Relayée dans tous les médias, cette formule (dont la paternité est régulièrement attribuée à Guy Bedos) était intégrée comme élément de langage dans les discours de tous les politiques, allant de François Hollande à Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre.  Cette antienne, on la retrouvera même dans des réquisitoires dressés dans des procès pour discrimination raciale.

Oui mais voilà, c’est un sophisme, et il est d’autant plus pervers qu’il se présente tout auréolé de ce qui pourrait passer pour une sagesse populaire

Analyse

Le but étant d’affirmer l’équivalence par association de deux concepts :

  • Le racisme : qui est une idéologie
  • Le délit : qui est le non-respect d’une règle de loi, qui expose son auteur à une peine d’emprisonnement

Implicitement, on pose qu’une opinion (idéologie) peut-être un délit.  On va même plus loin en affirmant que le racisme n’est pas une opinion, ce qui s’oppose à la définition même du racisme.  Or le délit d’opinion n’existe pas en France, pour la simple raison qu’il serait anticonstitutionnel.  La liberté d’opinion étant un des principes démocratiques fondamentaux de la République.  Elle figurait déjà en bonne place dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

D’une manière générale, on notera que le délit d’opinion n’est pas compatible avec la démocratie.

La mécanique

Il peut être intéressant de voir quels sont les rouages à l’oeuvre dans une argumentation sophiste, afin de pouvoir mieux s’en prémunir.

  • Sophisme ad Hitlerum : vous n’êtes pas d’accord, donc vous défendez le racisme.  Vous êtes donc raciste.  Or ici il ne s’agit nullement de défendre le racisme, mais bien un droit fondamental.  Le sophisme ad Hitlerum vise à discréditer par avance les conclusions d’un contradicteur en l’associant à un personnage ou une idéologie qui ne peut susciter que le rejet.
  • Non Sequitur : le racisme c’est pas bien, les délits c’est pas bien, donc racisme=délit.  Est une conclusion fallacieuse.

Ces formes de sophismes manichéens illustrés par le célèbre « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous » sont monnaie courante aujourd’hui, parce que très pratiques pour mettre en évidence des clivages réels… ou supposés.  Après l’attentat de Charlie Hebdo,  toute personne qui déclarait « Je ne suis pas Charlie » était vue comme faisant implicitement l’apologie du terrorisme.

Conclusion

Le problème de ce genre de formules clivantes, c’est qu’elles finissent par donner corps à ce contre quoi elles prétendent lutter.  À telle enseigne que dans le même temps, les politiques de tous bords qui participaient au lynchage médiatique de toute voix dissidente (« je suis pas Charlie ») s’étaient crues bien inspirées d’ajouter « pas d’amalgame » qui lui aussi fit florès sur les réseaux sociaux, mais uniquement pour parodier leur hypocrisie.

A cela s’ajoute l’argument d’autorité, qui selon moi est interpellant.  On ne parle pas d’une discussion de comptoir au bar de Madame Michu.  On parle des plus hautes autorités de l’Etat, de membres de la Magistrature, etc.  Difficile de croire qu’ils ne comprennent pas la portée de leur parole.

La presse dans son ensemble a elle aussi brillé par sa furtivité et son silence qui en disent long sur les relations incestueuses qui prévalent entre le monde politique et les médias aujourd’hui.

Pourtant on aurait pu croire qu’il était du devoir de ce quatrième pouvoir qu’est la presse de dénoncer ce qu’il faut bien appeler une dérive totalitaire par érosion lente mais systématique des droits fondamentaux des citoyens, et par la remise en question de principes clairement établis par la constitution.

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles