Pacte de Marrakech : lettre ouverte à mon syndicat

Photo ONU/Mark Garten
Lettre ouverte à la direction de la Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB)
Lessines, le 15 décembre 2018
Je prends la peine de vous écrire pour vous faire part de ma stupéfaction, mais aussi de ma profonde colère face à la position prise par la FGTB concernant la politique migratoire, et plus précisément la signature du Pacte de Marrakech.
Dès mon entrée dans la vie active, j’ai adhéré au syndicat communiste parce que mes convictions étaient profondément ancrées à gauche, et le sont restées. J’ai peu à peu compris que les partis politiques de gauche avaient, depuis longtemps, trahi leurs idéaux et que désormais, ils se faisaient les chantres du néolibéralisme et de la mondialisation heureuse. Le socialisme s’est lentement et subrepticement détourné de la lutte contre les inégalités sociales au profit de la protection de « minorités », agitées telles des hochets, pour ne pas avoir à s’occuper des conséquences désastreuses de la mondialisation. Délocalisations, chômage de masse, appauvrissement généralisé de la population, disparition de la classe moyenne, voilà tous les bienfaits de l’ordolibéralisme de Bruxelles à la botte du grand capital.
Mais cela ne suffit pas aux maîtres du monde que sont devenus les multinationales et les banques. Non contents de nous avoir fait payer les conséquences de la crise de 2008, et de leur avidité mortifère, ils en veulent toujours plus : l’économie est en berne ? Pas pour tout le monde, la fortune des 500 personnes les plus riches de la planète a bondi de 23% pour la seule année 2017.
Pour ces chacals, le peu qu’ils nous versent comme salaire est encore de trop, il faut donc déréguler, il faut placer les travailleurs en concurrence avec les travailleurs du tiers monde. Et comme on ne peut pas tout délocaliser, invitons-les à prendre, pour un salaire de misère, le travail des travailleurs les moins qualifiés, qui sont déjà parmi les plus précarisés.
Le rôle des syndicats est la défense des droits des travailleurs, pas de se positionner sur des questions de société relevant de la politique générale. Vous êtes donc doublement coupable, d’abord en prenant position en faveur du recrutement d’une deuxième « armée de réserve » aux côtés de la multitude de chômeurs, puis en sortant du rôle qui est le vôtre en poussant l’agenda mondialiste là où il était si facile de faire usage de votre droit inaliénable et imprescriptible à vous occuper de vos oignons.
En vous alignant sur les positions des mondialistes, qui sont objectivement les ennemis du genre humain, vous vous rangez aux côtés des socio-traîtres, qui affectent de se préoccuper des inégalités sociales tout en détruisant méticuleusement le peu qu’il reste des acquits sociaux. Je révoque ce jour mon affiliation syndicale de 30 ans, parce que je refuse de cautionner votre participation à cette entreprise de destruction du tissu social de notre pays.
En quoi ce pacte est-il profondément antisocial ?
Tout d’abord, quoi qu’on essaie de nous faire avaler comme couleuvres ces temps-ci, le nomadisme n’est pas la norme, les migrations non plus. Depuis plus de 12.000 ans, soit la découverte de l’agriculture et la naissance des premières cités-États, les peuples sont essentiellement sédentaires. On peut décrire une société comme une population plus ou moins homogène sur un terroir.
Chaque fois que l’on observe des mouvements migratoires massifs, c’est soit parce que ces pays ont été dévastés par la guerre, soit parce que les conditions de vie y sont insupportables, et la situation actuelle ne fait pas exception à la règle. Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Afrique subsaharienne, sont autant de pays et de régions qui ont été dévastés par les guerres néocoloniales de ces 20 dernières années pour le compte de l’Oncle Sam. Or que trouve-t-on comme signataires de votre « appel au multilatéralisme » ? Les mêmes membres du petit club1 des ONG mondialistes qui n’ont jamais hésité à soutenir ces « guerres humanitaires » partout et en tout temps, avec le résultat qu’on connaît.
Vous mesurez l’hypocrisie qu’il peut y avoir à cautionner ce qu’il faut bien appeler des guerres néocoloniales, puis, au titre d’une « solidarité humanitaire » (découverte de fraîche date), ouvrir les frontières de l’Europe aux flux de migrants qui ne manqueront pas de s’y présenter ? Le tout aux frais de la princesse, et dans le plus parfait déni des règles élémentaires de la démocratie. Eh oui, pour une question d’une telle importance, tout comme pour la signature du Traité de Lisbonne, d’ailleurs, la moindre des choses eût été de consulter la population. Ah mais c’est vrai, l’humanité vous adorez, mais le peuple, c’est tellement ringard, et puis ça vote systématiquement de travers…
Faut-il rappeler que la dernière fois que la Belgique a ouvert ses portes aux flux migratoires, en provenance d’Italie puis du Maroc, le chômage était quasiment inconnu sous nos latitudes ? C’étaient les 30 glorieuses, et avec elles, le plein emploi. Aujourd’hui, le chômage des jeunes en Wallonie par exemple est de presque 30%. En Belgique, 16% des habitants sont en dessous du seuil de pauvreté et ce taux monte à 20% quand on parle des enfants.
Quel sera l’impact social de l’arrivée massive d’immigrants peu qualifiés, ne parlant bien souvent pas la langue, sur le territoire ? Il faudra leur assurer l’accès à la sécurité sociale, leur donner des moyens de subsistance, alors que les CPAS2 sont déjà submergés et ne peuvent faire face à la demande en raison de la paupérisation croissante de la population ?
Vous souvenez-vous du sens du mot « Belgique » dans votre raison sociale, ou bien pensez-vous que l’ensemble de la population serait d’accord pour octroyer à des étrangers ce que l’État ne peut plus offrir à ses nationaux ? Est-ce que vous ne nous prendriez pas un peu pour des bulots ? Ai-je raison de penser que finalement, vous faites votre miel de la pauvreté, censée jeter dans vos bras toujours plus de travailleurs précarisés, de chômeurs et d’assistés ? Ai-je raison de croire que désormais, vous n’êtes plus un syndicat mais une excroissance maligne qui telle une tumeur cancéreuse, se nourrit de la vitalité de son hôte pour le tuer à petit feu ?
Le monde tel que nous le connaissons est en train de s’effondrer, et nous assistons actuellement à la dernière manche d’un combat qui opposera les peuples opprimés à l’instauration d’un gouvernement mondial par l’oligarchie financière. Ces gens veulent en finir une fois pour toutes avec les États-nations, et s’emploient à détruire méthodiquement tout ce qui constitue le ciment et la vitalité de notre société. En face d’eux, les Gilets Jaunes, les Brexitters, les gens de peu qui constituent l’électorat de Donald Trump : les laissés pour compte de la mondialisation.
En prenant le parti des mondialistes nomades contre le peuple, vous avez fait le choix de vous couper de votre base, et renoncé à vos idéaux; et tout comme les partis des socio-traîtres3, vous aurez à en payer le prix, tôt ou tard.
Philippe Huysmans
>> Article original sur Le Vilain Petit Canard
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Signataires
Philippe Hensmans, Directeur d’Amnesty International ; Frédéric Rottier, Directeur du Centre Avec ; Sotieta Ngo, Directrice du CIRÉ ; Arnaud Zacharie, Secrétaire général du CNCD-11.11.11 ; Marc Becker et Anne Léonard, Secrétaires nationaux de la CSC ; Thierry Bodson, Secrétaire général de la FGTB wallonne ; Estelle Ceulemans, Secrétaire générale de la FGTB Bruxelles ; Baudouin Van Overstraeten, directeur de JRS Belgique ; Olivia Venet, Présidente de la Ligue des droits de l’Homme ; Pierre Verbeeren, Directeur de Médecins du Monde ; Christian Kunsch, Président du Mouvement ouvrier chrétien ; Adriana Costa Santos et Mehdi Kassou, Co-présidents de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés ; Antoinette Maia, Coordinatrice de Solidarité mondiale ; Prof. François Gemenne, Université de Liège ; Prof. Sabine Henry, Université de Namur ; Eva Smets, Directrice générale d’Oxfam Solidarité ; Pierre Santacatterina, Directeur général Oxfam Magasins du Monde, Olivier Valentin, Secrétaire national de la CGSLB
- CPAS : Centre Public d’Aide Sociale, qui délivre plus ou moins l’équivalent du RSA français
- PS, ECOLO, PTB, etc.